La Terrible bête, encore

De nouvelles données m’incitent à revenir sur la dépression. Maladie du « je », problème personnel, s’il en est. Je tenterai cependant d’élargir le cadre et de tenter de comprendre l’évolution du phénomène.

Dans un précédent billet, j’ai tenté à la fois de décrire l’ampleur de l’épidémie et d’insister sur la nécessité d’aller vers notre ami dépressif, de tenter d’ouvrir la porte, ou à tout le moins de dire : non, tu n’es pas seul.

Une enquête récente dit qu’un million deux cent mille canadiens au travail, souffrent de symptômes évidents de dépression. Cela veut dire que plus d’un travailleur canadien sur vingt vit avec le problème. Cela ne compte pas les dépressifs qui sont incapables de travailler. Impossible de connaître le sérieux de cette enquête. Mais, il y a certainement une indication du caractère épidémique de cette maladie.

On continue à traiter cette maladie à coup de pilules, d’inhibiteur de la recapture de la sérotonine, et de psychothérapie comme s’il s’agissait d’une mauvaise grippe, et que c’est une fatalité d’être atteint par l’épidémie. Qui s’occupe des causes? Qui dira que ce n’est pas de votre faute? Qu’il faut se couvrir avant de sortir parce qu’on attrapera la grippe?

La dépression est causée par un sentiment d’échec. Et on vous le démontre en répétant que vous en êtes la cause, vous êtes un perdant. Dégagez, la marche de la société libérale ne supporte pas les faibles et les incapables comme vous. Allez-vous faire soigner, vous pourrez réintégrer le troupeau des consommateurs quand vous saurez tenir le rythme de la course vers la falaise.

Dans les sociétés tribales, la maladie du « je » s’exprime par la possession. Si dans la société libérale le « je » se meure de ne pas avoir les liens qui lui permettent d’exprimer la solidarité, nécessaire à la vie. Dans la société tribale, le « je » est parfois étouffé par le trop de liens de solidarité et il s’invente une nouvelle personnalité perturbante pour prouver son existence. Le « totem » est une forme de thérapie douce pour permettre l’existence du « je » contre la surprotection.

Laflote pausait il y a quelques jours la question : « qu’est-ce qu’être de gauche ? ». Devant le présent vide de sens, l’isolement qu’on veut nous imposer pour faire de nous des serviteurs dociles de la société de consommation, je crois que l’acte le plus révolutionnaire qu’on peut poser est de se faire des amis. Il faut reconstruire les liens, rebâtir la solidarité qui nous est aussi essentielle que l’air et que l’eau.

Nous sommes responsables de ceux qui nous entourent. C’est le seul remède que je connaisse à la présente épidémie.