Bruits de bateaux

D'abord une autopub! Avez-vous lu mon papier d'hier sur les araignées? Je le trouve... enfin... disons moins poche que d'habitude. Encore une demande spéciale aujourd'hui, un peu plus technique, mais j'espère que vous aimerez.

C'est Eor le marin qui m'a demandé comment ça sonne des bateaux quand on les écoute sous la surface. Là, j'ai commencé à faire un tour dans les vieux enregistrements histoire de trouver des pistes, et je tournais le problème sous tous ces angles quand en faisant un tour sur son blog, je vais qu'il va bientôt partir et que je n'aurai pas répondu à sa question. Alors au boulot.

Il faut dire que la mer est un milieu très bruyant. Oui, je sais, en dehors des plateaux continentaux, il y a le grand désert marin, où on peut entendre une baleine qui fait un appel à 200 kilomètres, et des rumeurs lointaines, la terre qui gémit et des sons si mystérieux qu'on ose mettre un nom dessus. Vous savez sans doute que dans les océans, les eaux de températures différentes ne se mélangent pas ou très peu. Il y a donc des étages avec des frontières assez nettes entre les couches qu'on appelle thermoclines. Le son voyage dans une couche et l'onde rebondit sur les frontières de la thermocline. Aussi selon la profondeur où on immerge les hydrophones, on entend des réalités bien différentes.

Il y a aussi l'océan Arctique, où si on enlève la douce chorale des phoques, le frottement de la glace, les sons apparaissent comme des chants doux, des berceuses. J'en parle ici. Il y a aussi une très grande respiration lente, dont je ne connais pas l'origine. Parfois je me dis que c'est la lune qui pèse sur la glace comme elle le fait pour les marées. Ou c'est la pression des Aurores boréales, peut-être le flux du champs magnétique de la Terre qui pénètre au Pôle, je ne sais pas.

Dans les zones côtières par contre, c'est tellement bruyants qu'il faut bidouiller et filtrer les sons pour trouver ce qui nous intéresse. J'imagine que dans la Manche, c'est comme dans le Saint-Laurent, tout le monde est un peu sourd, comme les gens des grandes villes. Il y a trop de bruit, difficile d'entendre quelque chose.

Les bateaux contribuent beaucoup au tappage. Selon la salinité et la température de l'eau le son porte de 5 à 12 fois plus loin que dans l'air. J'imagine que si on fisait des recherches on finirait par pouvoir identifier chacun des bateaux à son son. Je reconnais facilement le traversier de Rivière-du-loup à Saint Siméon, s'il est à moins de 10 kilomètres, mais je l'ai entendu tellement souvent. Il y a aussi les types de moteurs qui ont des sons très différents.

Un gros cargos avec un diésel de 2000 cheveaux ça sonne comme ça à 5 kilomètres ( je ne peux pas rêgler le volume pour vous mais c'est assez fort):

Le pire je pense, sont les moteurs à vapeur d'avant les turbines( disons avant 1950). On les appelle les moteurs à triple expensions parce qu'il y a 3 pistons qui sont chacun un volume au cube du précédent. Le martellement du gros piston s'entend très fort à 15 kilomètres dans des fréquences proches qu'utilisent les grandes baleines:

Avec l'augmentation constante du trafic maritime je me dis que certains coins vont devenir carrément invivables pour les mammifères marins. Quoiqu'il est difficile de concevoir un coin plus bruyant que Tadoussac et de plus en plus de baleines viennent s'y alimenter. Je crains surtout pour l'ouverture du passage du Nord-Ouest. Ce sera un changement brutal de passer de la douce quiétude des glaces, à la folie bruyante des hommes.