Ode à Koi-koi

C'est une petite histoire écrite l'été dernier. Mais l'appel des outardes hier m'a laissé un tel trou dans le coeur, qu'il me faut dire à Koi-koi que je me souviens, aussi bien que si c'était hier.

Hier, j’ai fait un grand trou près de la rivière pour planter un saule.

Je connais Koi-koi, une vieille oie des neiges, depuis une quinzaine d’année. Chaque fois qu’elle passait, allant au Nord ou revenant vers le Sud, elle s’arrêtait sur le lac, et venait me conter ses histoires…

C’est bien connu, ce sont les loups, ceux qui nous ont montré le voyage et l’équilibre des choses, qui ont appris aux chiens à parler, et les chiens ont appris aux oies. Il s’agit de comprendre le chien, et on s’habitue rapidement à l’accent particulier des oies. La langue des chiens du Nord est différente de celle des chiens du Sud, parce que ceux du Nord se parlent surtout entre eux, alors que ceux du Sud parlent à beaucoup d’animaux.

Sauf quand ils courent, les chiens du Nord sont très bavards. Toujours à raconter des histoires, à se houspiller entre eux, à vouloir dire aux autres le plaisir du voyage, ce que les oies comprennent très bien.

Depuis une quarantaine d’année, Koi-koi passait ses hivers dans les champs de maïs très pollués de l’Indiana. C’était une commère chicaneuse, habile aux coups de bec, souvent criarde, dénonçant les humains avec violence, mais aussi la meilleure mère qui soit. Elle venait me dire sa haine, sa rage et ses espoirs, contente d’avoir un auditeur en apparence attentif. Je pêchais et lui donnais les petits poissons.

Cette année, elle a fini son voyage sur le lac. Ses vieilles ailes, presque figées par l’arthrite, ne la portaient plus.

Hier matin, comme presque chaque matin, je suis allé voir le lever du soleil sur le quai, faisant semblant de pêcher, histoire de m’occuper les pattes. J’étais content quand Koi-koi s’est approchée pour me faire la conversation. Je m’attendais au cancanage habituel mais non, elle avait un discours différent.

Elle m’expliqua qu’elle ne pourrait retourner au Sud. Qu’elle ne voulait pas mourir de froid et de solitude sur le lac. Et qu’une fin digne d’une oie, c’est d’être mangée. Qu’elle voulait que je mette fin à ses douleurs de vieillarde. Elle s’est approchée de moi. Pour la première fois, je l’ai touchée. Je l’ai caressée. Et d’un geste sec de la patte, j’ai brisé ce grand cou si fragile. Des frissons nerveux ont parcouru son corps durant quelques secondes, et la vie est partie.

C’était trop dur, je n’ai pas pu manger mon amie, je l’ai mis dans le grand trou sous le saule. Je suis sur que l’oie et le saule en seront heureux.

Ce matin un eider à duvet est venu me parler alors que je pêchais sur le quai. C’est bizarre les eiders sont des oiseaux de mer qu’on ne voit que très rarement sur un lac. Est-ce que quelqu’un parle l’eider? il me faut apprendre rapidement ce langage…