Au pays de Nillik

Que j’aimerais vous amener au pays de Nillik. La grande plaine marécageuse cache le pergélisol. Rien à voir avec les vertes collines de la Normandie, ou le sol brun et riche de la Beauce, c’est un pays dur, de pierre et d’eau, couvert de neige sept mois par année. Et dans ce court été, marcher est pénible, il faut ici voler ou glisser sur l’eau. Au pays de Nillik, l’été c’est la saison où les traîneaux glissent mal.

Les marcheurs qui peuvent, quittent le territoire, le caribou et ses serviteurs cherchent plus au Nord leur nourriture. Alors, Nillik tombe du ciel comme la nouvelle neige. De regroupement en regroupement, les vols se font centaines, milliers et puis dizaines de milliers. Le bruit est assourdissant, Nillik, la grande oie des neiges crie sa joie de revenir chez elle.

Il n’y a pas de temps à perdre. Faire le nid, pondre, couver, amener les jeunes à être assez fort pour le grand voyage, et seulement 4 petits mois. Le scirpe, la spartine et le carex dont les racines sont très riches en amidon constituent l’essentiel de la nourriture durant toute cette période. Il faut se battre pour avoir assez à manger.

Depuis qu’Inuk ne chasse presque plus, la grande oie n’a plus vraiment de prédateur, elle est en surnombre, elle détruit son pays en le mangeant. Encore une fois, il est important de voir le rôle du prédateur dans la survie d’une espèce. Inuk est le fils de Nillik tout autant que de Natsiq (le phoque), et il mourra de l’avoir négligé.

Nillik forme un couple stable avec son conjoint. Mais elle aura de nombreuses aventures homosexuelles. Tant qu’elle n’a pas d’amoureux, Nillik est plutôt silencieuse. Mais après elle rattrape le temps perdu en criant presque tout le temps. Elle a un grand répertoire. Elle cacarde, caquette, criaille et siffle. En vol, on entend le plus souvent le « la-luk » ou le « Uk-Uk » et divers aboiements. Elle dit la tendresse avec un « KoïK » ascendant. Enfin, tout le monde le sait, ce sont les loups qui ont appris à tout le monde à parler. Les loups ont appris aux chiens qui ont appris aux oies. C’est pour cela que c’est une langue facile à comprendre. Tiens, j'y pense, les Elfs de Tolkien ne seraient pas en réalité des loups?

Des nuées de moustiques affamés cherchent la chaleur du sang. Ils ne peuvent pas attaquer Nillik, ses plumes la protègent. Mais tous les autres animaux doivent subir ces assauts. Il n’y a pas de protection chimique ou vestimentaire apte à nous en défendre sinon la longue habitude des morsures qui nous rend presque tolérant au venin. Même alors les chutes de tension artérielle peuvent survenir.

Pourquoi alors aller dans ce si difficile pays? Pour savoir que tout n’appartient pas à l’homme, qu’il n’est pas le maître du monde, qu’il ne peut pas tout dominer, tout contrôler. Il n’y a pas de maître de la vie, et la vie n’a pas besoin de maître. À vouloir être le propriétaire, le maître du monde, nous ne pourrons qu’en être le fossoyeur.