Imitation du dimanche 2

Ma tentative de lettre style XIX, a connu un certain succès, je tente de nouveau. Je sais c’est la meilleur façon de décevoir. Mais bon, j’ai essayé dans le style de Corneille et évidemment je suis encore plus endormant que le vieux barbon. Je recommence donc dans le style XIX, mais un peu plus tard dans le siècle. Alors, soyez indulgents.

Madame,

Ne le niez pas, ce que m’a révélé ce si clair couchant dimanche dernier, votre teint si doux, cette connivence avec l’humidité de la mer qui vous la fait craindre et aimer, cette aisance à voir l’infini et a y deviner l’essentiel, vous habitez un pays de brume. Et s’il existe là des tempêtes, je n’ai vu en vous que la lumière un peu trouble qu’il reste sur la mer quand la furie s’est clamée.

Vous le savez peut-être, je suis d’un pays au soleil froid et tellement implacable sur la neige qu’il aveugle et rend fou, si on ne s’en protège. Votre seule vue est repos pour mes yeux. Et pourtant, il y a un tel trouble dans mon cœur que je pense vos brumes plus dangereuses encore que tous les jours que j’ai traversés. Non ce qui me trouble ne peut être un quelconque danger. Je suis le danger de ne pas être assez ou peut-être trop, mais enfin de ne pas, comprenez-moi madame, je voudrais tellement être…

Je sais, j’ose, cette missive est tellement prétentieuse, mais comment vous dire madame que ce simple instant que nous avons vécu, où le temps a suspendu son vol, où j’ai vu, une telle image ne peut mentir. Même la mer avait fait silence, les oiseaux fixés dans le ciel se sont tus. Les danseurs de la fête, immobiles dans la quête du prochain rire, il n’y avait dans tout le monde que vous et l’infini.

Je suis un homme simple, d’une banalité ennuyeuse. J’ai consacré ma vie à la recherche de cette simplicité, de cette simple raison qui fait maintenant l’homme qu’on dit respectable. Et pourtant, ce simple instant, ce seul moment volé au temps, brise toute raison et me pousse à vous écrire Madame.

Il y a là une évidence, que toutes les brumes de toutes les mers ne peuvent cacher. Je prends ce moment pour un signe. Ne rejetez pas cet aveu qui peut sembler fou. Parce que si parfois le soleil de l’évidence brûle la raison, parfois aussi il donne une raison de vivre.