La tristesse du roi

Je vous ai déjà parlé de Juan Leroy, le huard qui vit dans mon bout du lac. Oiseau hautain s’il en est, capable de son rire méprisant d’insulter qui il veut, c’est-à-dire à peu près tout le monde, me semble bien malheureux. Non je ne rirai pas à mon tour, un tel déboire peut arriver aux meilleurs.

Les gaviiformes ( l’ordre des huards) comme celui des Anatidés ( les oies, les cygnes et canards) ont de fortes propensions à l’homosexualité. On les voit généralement par trois, deux femelles un mâle, ou deux males et une femelle. Le troisième traîne un peu derrière un peu triste, mais fidèle. Ces oiseaux sont généralement fidèles pour toute la vie.

Mais fait exceptionnel, voilà que Juan Leroy se retrouve seul, toujours seul. Sa belle et son amie ne sont plus là. Il parcourt son territoire cherchant partout du regard, mais rien. Il lance même aussi des petits cris d’appel, exceptionnels en cette saison, mais pas de réponse. Si les huards sont très bavards au printemps et durant la saison de nidification, l’automne, ils sont généralement muets.

Les huards sont des oiseaux très lourds. L’envol est un effort considérable et généralement ils ne volent que pour la migration, réussissant un départ et faisant tout de suite une route de 2000 km avec une ou deux pauses seulement. De telles distances semblent un exploit, mais réussir l’envol est un exploit encore plus considérable.

Pour l’observer sans qu’il s’inquiète, j’ai fait semblant de pêcher, sans trop bouger sur le bout du quai. Évidemment, il a rapidement perçu mes intentions. Il s’est lentement approché de moi, et est venu me dire sa peine.

Je ne sais pas ce qu’il arrive à un huard solitaire. Meurt-il de chagrin et d’ennui? Faire une jeune conquête pour un vieux huard doit être très difficile. Deviendra-t-il l’amant dans un couple plus jeune? Mais pour l’instant, j’ai plutôt avec lui, le goût de répéter la phrase de Brassens : « il n’y a pas d’amour heureux »