Pour ma paix

Le pire problème pour un amoureux de la nature comme moi, c’est de se retrouver dans le fatras et l’accumulation de photos et de sons d’animaux. Je vous jure qu’en vieillissant le problème ne diminue pas, au contraire. Pire, je n’ai pas de talent pour l’ordre et l’organisation.

Il faut bien que je fasse contre mauvaise fortune, bon cœur… je dirai donc que ma tâche est de faire des liens nouveaux et que les incessantes recherches dans des piles de documents et de CD causées par mon manque de méthode, me permettent de découvrir par le hasard des juxtapositions, des façons nouvelles de voir, d’entendre de comprendre. Je sais, c’est une excuse, mais si je me condamnais tout le temps pour tous mes torts, je serais toujours à brailler sur mon sort… je préfère fouiller.

Donc, j’étais à la recherche d’un chant d’oiseau pour un ami et d’un peu de tendresse pour soulager ce qu’il reste de mes maux de ventre et je suis tombé sur un document sans titre.

Je ne sais si je vous ai parlé de l’être le plus doux, le plus sensible, le plus tendre qu’il m’ait été donné de connaître. Elle était aussi animée d’une joie profonde tellement gigantesque qu’il était impossible d’être malheureux à son contact. Je ne sais pas si le fait de peser 40 tonnes aide à être une grande amoureuse, mais quand une vague de son affection m’atteignait, c’était tellement considérable, global, doux et passionnant, qu’il semblait que seule la mort pouvait être un espoir de libération. Pourtant, c’était un appel à la vie, et quand elle me libérait de son étreinte affective, je me sentais léger, sans poids pour au moins 24 heures.

Voilà le document sans titre :

Nutkat me présente sa fille nouvellement née : Nokosa. C’était, il y a six ans. Je me souviens bien de cette journée. Il était vers 4 heures du matin, et à peine une lueur nous laissait croire qu’un jour viendrait dans ce ciel du Nord. J’étais assoupi dans le bateau qui n’avançait pas dans cette nuit sans vent. L’énorme souffle a éclaté tout près, me réveillant et appelant toute mon attention. Une mégaptère peut expulser son air jusqu’à 500 KM/heure ce qui fait le bruit d’un canon.

Nutkat, je crois, n’accouchait pas très facilement, elle voulait mon aide, mes encouragements dans ce moment difficile. Mais comment aider? Sinon en concentrant tout l’amour qu’on peut avoir, et en le projetant vers elle? Lui faire sentir combien elle est importante, combien je l’aime? Tous ceux qui ont assisté, participé à une naissance, comprennent ce sentiment d’amour et d’inutilité, combien on voudrait être à la place, prendre pour soi la douleur, faire le travail, donner la vie… Et combien on se sent ridicule et impuissant, et amoureux.

Nutkat la danseuse est décédée fin août 2005 de sa grossesse suivante. Il faudrait bien que je raconte ici cette histoire.