La névasse

La névasse, plus solide que la sloche, mais moins que la tiaffe, ça ressemble à de la neige, mais il y a trop de pluie dedans. C’est presque l’automne qui se déguise en hiver, un travesti, il semble beau, mais ce n’est que du faux.

Évidemment, quand je rêve de neige, c’est à la poudreuse que je pense. Le névé léger que le vent transporte, comme des anges sur le lac. La douce neige brillante qui absorbe les sons, et donne à l’air le goût de l’espace. Ça n’a rien à voir avec ce qui est tombé sur Montréal ce matin.

La névasse est trop mouillée pour être de la neige à bonhomme, et les enfants sont déçus, ils roulent des boules dans le parc, qui se gonflent trop vite et s’écrasent sous leurs propre poids. C’est quand même bien pour les batailles de balles de neige. En les frottant un peu, mais juste un peu, on peut réussir à les glacer alors ça devient une arme redoutable. Heureusement, peu d’enfants lancent bien sinon ils auraient déjà gagné la guerre.

Le pire, c’est sur les trottoirs des villes. Sous les pas la névasse se compacte facilement en une glace légèrement recouverte d’eau, donc extrêmement glissante. C’est le moment où on reconnaît le plus facilement les Montréalais. Ils adoptent d’instinct la démarche légèrement frottée qui permet d’éviter les rapides transferts de poids d’une jambe sur l’autre. Les autres sont assis les fesses dans l’eau froide, ce qui n’est jamais très confortable.

Pour le chien Platon, la neige c’est le bonheur. Avec ses petites pattes, il enfonce profondément. Il est condamné à sauter plutôt que de marcher. Le handicap se transforme vite en jeu, et il saute de plus en plus rapidement en une danse incohérente, mais très joyeuse. Puis, il lui vient à l’idée que si cela le freine, ça freine probablement aussi les écureuils. Il y a donc un espoir que ces rats à grosse queue soient attrapables. Non, après une dizaine d’essais il faut constater que c’est toujours pareil. C’est sûrement la faute de celui qui est à l’autre bout de la laisse et qui ne se déplace pas assez rapidement.

Platon pratique un autre sport qui sur la glace devient carrément dangereux. Il se choisit une jeune femme, fait le tour le plus rapidement possible et s’assoit en faisant le mignon pour quêter une caresse. La jeune dame entravée par la laisse ne peut plus avancer, alors on s’excuse, on parle du chien, du temps qu’il fait, du temps qu’on a, et du temps qu’on aimerait avoir avec elle. C’est sûrement un jeune homme qui lui a montré le truc, parce qu’il choisit des filles très belles, mais beaucoup trop jeunes pour moi… que c’est dommage, parce que ce chien a vraiment un goût très sûr.

Aujourd’hui, avec la glace sur les trottoirs l’exploit a failli tourner à la catastrophe. Je l’ai vu démarré en comprenant bien ce qui se préparait. J’ai eu juste le temps d’étendre les bras pour recevoir la jeune dame qui autrement aurait pu se faire très mal. Après l’avoir remis sur pied, je n’ai pas tenté de conversation galante, elle n’était pas d’humeur à ça.