Les changements

Bien sûr il y aura des changements. Bismarck a raison, avoir peur ne sert pas à grand chose. Mais penser que cela ne changera pas est aussi dangereux que de penser que le changement est forcément bon ou mauvais, ce n’est pas une question de choix individuels ni de morale.

L’Europe et l’Amérique ont été dominées depuis 200 ans par l’idéologie du progrès. C’est l’idée que le changement est forcément bon. Il faut se lancer dans une course en avant, parce que les solutions sont techniques et que développant la science, tout serait forcément mieux. Cela n’empêche pas les prophètes de malheur de nous annoncer toutes les catastrophes imaginables. La seule façon de les éviter étant de prier dieu et de donner de l’argent à l’église.

En tentant d’expliquer combien il était difficile de prévoir les changements climatiques et leurs conséquences, je crains d’être tombé dans le second piège : faire peur. Peut-être que la peur est le commencement de la sagesse, mais si on en reste là, c’est le commencement de la folie. Alors je donne un exemple de changement.

Ma maman est née en 1908 dans la forêt. Des petites communautés de nomades tentaient de vivre comme depuis plus de 3000 ans, sans livres, sans écoles, sans routes, sans industries, sans chevaux (en forêt ils sont inutiles). Bien sûr le progrès était à la lisière de la forêt, et il a balayé son pays détruisant tout sur son passage. Il a aussi apporté, les livres et un mode de vie totalement différent. Il y avait un milliard six cents millions de personnes sur Terre.

Ma maman est morte en 2005, après avoir lu presque un livre par jour, avoir fait le tour du monde en avion, mis au monde plus de 1000 bébés comme sage-femme. Il y avait six milliards cinq cents millions de personnes sur Terre. Elle a connu le changement.

Sa principale force a été l’adaptation. Ne pas juger le changement comme bon ou dangereux, mais prévoir à court terme ( à long terme c’est impossible), et réagir à ce qui se passe.

Elle est née au moment où la mortalité infantile était à son maximum. La saleté des villes, et le manque de respect de la vie a fait que son premier combat fut de sauver les enfants. Et puis de donner à ces enfants une chance de survivre dans ce monde par l’éducation.

La faim est de tout temps et partout le mécanisme de contrôle des populations. Quand on étudie les grandes épidémies, il y a généralement un problème alimentaire qui les précède. Pour ma génération, le premier combat a été de nourrir tous les enfants que la génération précédente avait fait vivre. Pour réussir, on y a mis toutes les ressources énergétiques nécessaires, et on s’est aperçu que la nourriture était une arme beaucoup plus efficace que toutes les armées du monde.

Les combats de la génération de ma mère comme de la mienne sont tout à fait justifiables moralement, économiquement. Ne pas les avoir menés nous aurait condamné comme inhumains. Mais voilà, pour remplir cet objectif, nous avons saccagé les ressources de la terre. Nous constatons que nous ne pouvons pas continuer sans provoquer des catastrophes pires que tous les efforts que nous avons fait pour contrer les catastrophes précédentes.

Réduire la population de la Terre n’est certainement pas la solution. Ceux qui ont entre 10 et 25 ans ont maintenant la tâche de trouver comment nourrir tous ces gens sans détruire la planète. Les solutions sont nécessairement collectives, scientifiques et politiques.

Après-demain sera forcément différent de tout ce qu’on peut prévoir. Juger ne sert à rien. Avoir peur ne sert à rien. Il faut simplement prendre conscience de notre responsabilité d’humain et se mettre au travail. Échouer n’est pas envisageable.