La lune des belles fourrures
jeudi 1 février 2007, 18:49 General Lien permanent
La pleine lune me plonge souvent dans un état trouble. Je me souviens d’un ami me montrant fièrement une peau de castor chassé à la lune des belles fourrures. Très difficile de réprimer le goût de caresser ces petits poils très denses très doux, le goût de mettre sa joue sur cette peau et de fermer les yeux pour rêver.
Jeune, j’allais souvent chez cette vieille dame qui mettait l’alun sur les peaux et les frappait de ses bâtons pour les mégir. Enfant je pouvais rester là des heures à suivre ces mouvements précis parfois lents parfois très rapides, une danse à la gloire de ce qu’est l’animal, de ce qu’il peut nous donner de plus tendre, sa peau, son identité. Je sais maintenant que c’est l’odeur très particulière qui m’attirait.
Une fois, c’était une immense peau d’un caribou, une bête énorme, qu’elle frappait avec plus d’attention que d’habitude. Elle voulait créer la plus grande pièce possible pour coudre sans doute un vêtement de cérémonie. Elle faisait de ces gestes une cérémonie, pour développer les outils de la cérémonie. J’essaie de me souvenir de ce qu’elle m’a vraiment appris. Il faut faire de chaque pas, de chaque geste une cérémonie qui célèbre la Vie. La vie en soi-même, qui est le lien qui nous unit à tout ce qui vit, et qui a une égale importance. Je ne peux pas encore vivre comme cette vieille femme. Ma vie est trop bousculée, je suis trop pressé, j’ai tant de choses à faire pour réussir à vivre dans mon monde moderne et développé. Je suis civilisé, et je prends conscience que cela me coupe de ce que je suis, simplement vivant parmi la vie qui m’entoure. Il me faut réapprendre ce qui important. Refaire la simple cérémonie de la vie.
J’étais timide devant les gestes, la danse de la vieille femme. Elle s’est arrêtée, m’a regardé et souri. Elle a retourné la peau du coté de la fourrure, et m’a dit : « viens, c’est une peau de la saison des belles fourrures ». Je me suis couché dessus et elle m’a enveloppé. Les six ans de ma vie sont disparus et j’ai su comment c’était dans le ventre de ma mère. Cette douceur, cette chaleur, ce glissement qui fait qu’on est sans poids, et pourtant la résistance tout autour de nous, c’est lourd, chaque geste est entravé. Et puis l’odeur, complexe, musquée, toujours changeante et pourtant facilement reconnaissable, l’odeur de la vie.
Cette lune, cette pleine lune, me fait désirer retourner à cette odeur. Je toucherai la peau douce, je sentirai le poids de la peau, je ferai la danse, la cérémonie de la vie, pour que l’odeur revienne m’apprendre l’essentiel.
Commentaires
Une fourrure qui capte la vie et la conserve même après la mort. Quelle image puissante ! De quoi construire un beau mythe.
une amie, un jour, parlait d'une visite chez quelqu'un qui conservait des fourures et des peaux de bêtes... Elle disait y ressentir des énergies négatives . Je pense que si la bête a été tuée avec respect, sa peau est comme tu le dis (c'est si beau) rassurante douce et belle . j'ai une peau de mouton sur notre lit rien de tel pour retrouver la chaleur elle ne le couvre pourtant pas.
magnifique billet.
Anita--) merci j'ai tenté d'y mettre tout ce à quoi je crois.
Bey--) Le caribou court plus vite que le loup, mais courrir fatigue la harde, alors il faut qu'un caribou se sacrifie, pour que la vie continue, et cela fait la harde plus forte. Alors remercions la bête qui donne tout pour son groupe, et pour
notre groupe. Le chasseur, le prédateur qui se pense supérieur à celui qui se sacrifie, ne mérite pas de survivre.
Oxygène--) la vie dépasse de loin chacun de ceux qui ont la responsabilité de la porter.
Ah, Moukmouk, cette dernière phrase!!!... J'espère en faire de jolis rêves cette nuit.
Quelle beau récit.. plein de souvenirs, d'odeurs, d'émotions, de vie... il m'émotionne beaucoup. Je trouve que la mémoire du coeur comme celle ci devrait trouver sa place dans des écrits publiés.. pour ne jamais jamais oublier ! tu y penses ?
C'est curieux ce qu'une odeur peut porter avec soi. On les oublie, et quand on les sent à nouveau, elles amènent un flot de souvenirs
Oui, ces souvenirs et sensations "madeleine" qu'on retrouve, comme ça, parfois par hasard, tout au long de la vie, sont bien émouvants...