L’ours qui danse

Je parle souvent de l’importance de la danse. Pourtant, je pense ne m’être jamais expliqué sur ce que je voulais dire. L’ours dansant est certainement l’image la plus fréquente de la sculpture Inuite. Ce n’est pas que l’ours danse vraiment comme ça, mais que c’est le sens de sa danse.

La forme la plus souvent représentée, c’est l’ours totalement concentré dans la passion de ce qu’il fait. Le nez en l’air, tant pour humer le temps qu’il fait, que pour dire l’extase de vivre, en équilibre instable sur une de ses larges pattes, il s’apprête à frapper le sol le plus lourdement possible pour communiquer sa joie. L’ours ne voit pas très bien. L’ours polaire encore moins une membrane protège ses yeux de l’eau salée mais diffuse la lumière et rend un peu flou tout ce qu’il voit. Aussi sa danse n’est pas conçue pour être vue. Ce n’est pas la forme qu’il communique, mais par le son de ce pas exagéré à l’extrême. Il est heureux de ce que la glace sonne sa joie d’être lourd, puisqu’être lourd est le sens de la vie de l’ours. Il est lourd parce qu’il a bien rempli son rôle de prédateur et veut le dire dans ce pas.

C’est l’exact inverse de la danse aérienne de l’hirondelle qui se moque de la gravité pour dire la légèreté de la joie. L’ours en dit le poids. La responsabilité heureuse de l’équilibre réalisé, affirmation de la continuité du monde dans sa forme absolue, la vie. Même si la vie implique la mort.

J’apprends à être ours. Je suis dans la lourdeur des mots et du geste. Et ce que je tends vers vous, c’est la joie du poids de la vie, de la responsabilité de la vie. Mais je suis encore tellement gauche, si imparfait à faire la danse que je risque de tomber et de vous écraser avec le poids de ce que je dois porter.

Peu importe ma peur, dansons, chacun à notre manière. Il faut dire la vie.