Vole l'hirondelle

Hier le soir était magnifique. Un vent d'orage avait soufflé une possible tempête ailleurs, il ne restait qu'une petite lourdeur dans l'air, temps parfait pour les insectes, temps béni pour les hirondelles.

Le chien Platon m'appelle à l'extérieur. Il veut que je m'assois près de lui sur la galerie extérieure, il lève le nez pour me montrer ce qui le ravit, il y a six hirondelles qui de leurs vols très acrobatiques, emplissent le corridor de ciel entre la maison et celle du voisin. Il ne s'agit pas de simplement se nourrir, il s'agit du plaisir du vol, de la gastronomie à l'état pur.

Oui, oui gastronomie... pour qu'un plat soit bien réussi il ne suffit pas cuisiné. Il faut la qualité de la vaisselle et l'art de la présentation. L'oeil doit aussi être nourri. Alors, pour un être aussi visuel qu'une hirondelle, la beauté du vol qui sert à nourrir est aussi important que l'insecte à manger. Regardez ce glissement sur l'aile pour préparer un soudain piqué suivi d'une remontée en chandelle aile fermée pour être sur de profiter jusqu'à l'extrême limite de la vitesse acquise, et du délicieux moment d'immobilité qui précède le décrochage. C'est du grand art. Il faut la technique ET le bonheur de créer.

Le chien Platon a bien raison, c'est un tel bonheur de les voir dans le ciel, je ne m'en lasse pas. Et puis, il se met à couiner doucement comme il le fait devant la porte quand il tente de nous persuader qu'il faut qu'il sorte immédiatement. A moins que ce soit un nouveau mot-chien que je n'ai pas encore appris.

Et à ma grande surprise, les hirondelles descendent. Elles ne se lassent pas de faire le spectacle, mais le font maintenant plus près, pour le chien et peut-être aussi pour moi même si je suis si gauche pour leurs dire combien je les admire.

Et puis une se pose à 3 mètres de nous et nous tient ce discours:

Mais Platon est un petit chien fébrile. Comme il est tout près de moi, je sens la tension nerveuse qui monte, il tremble de plaisir et voulant peut-être répondre, il jappe... mais c'est beaucoup, beaucoup trop fort. Les as du ciel prennent panique et vont porter le spectacle ailleurs.

Totalement mélangés entre le très grand plaisir de les avoir vu nous faire un spectacle et tellement déçus que ce soit fini, nous restons un peu hébétés. C'est ça la vie, les grands bonheurs sont jamais très longs, il faut en profiter au maximum. Mais je prends une résolution: dès que j'ai un peu de temps, je me mets sérieusement à la langue hirondelle, elles ont vraiment quelque chose d'important à nous dire.