Tussiapuq le loup

Un ami des loups me dit que je ne suis pas honnête, que je parle toujours des loups puissants, mais jamais du souffre-douleur. C'est vrai, alors parlons du boiteux.

Chez les grands marcheurs du Nord, dire de quelqu'un qu'il est boiteux, c'est presque le condamner à mort. Tussiapuq, ça veut dire le boiteux. Pourtant ce loup ne boite pas, il est seulement le dernier du clan.

Les enfants d'ici parlent d'un « rejet ». C'est celui de la classe qui sert de repoussoir. Celui qui a tort avant même qu'il ait ouvert la bouche, celui qu'on ne prend jamais dans une équipe de sport. Celui avec qui il ne faut pas être vu, avec qui l'on ne peut être ami sans être contre le groupe. Forcément, la frustration qui s'installe chez cet enfant fera qu'il méritera assez vite d'être rejeté. Que je sache, on a toujours tenté d'étudier ce problème d'un point de vue psychologique : changeons l'enfant pour qu'il ne soit plus rejeté, alors qu'il est possiblement un élément essentiel du groupe.

Dans une meute de loups, il y a généralement un « rejet ». Un souffre-douleur, qui mange le dernier s'il en reste, qui porte des marques de blessures infligées par les autres loups, qui a une position dans la chasse ne lui permettant jamais d'accomplir un exploit: donc de ne jamais être félicité comme membre à part entière du groupe. C'est encore plus vrai dans une meute qui est emprisonnée par les humains. La frustration devient telle que souvent le souffre-douleur sera blessé à mort par les autres membres du clan. Si on le retire du groupe pour sa protection ou parce qu'il a besoin d'être soigné, quelques jours après, un nouveau loup deviendra le souffre-douleur.

Je l'ai déjà expliqué, la hiérarchie et la rigidité du statut social sont beaucoup plus affirmées dans des meutes captives. A mon avis, c'est parce que les captifs n'ont jamais l'occasion de prouver leurs valeurs. Un peu l'aliénation de l'ouvrier sur la chaine de montage qui ne peut s'affirmer comme participant à la réalisation de l'oeuvre. Dans une meute libre, la mère de clan ou le chef de chasse verra à ce que tous les loups à tour de rôle, puissent se faire valoir. Tous sauf le boiteux.

Je me demande simplement si la classe, la meute, le groupe n'avait pas besoin d'un repoussoir pour se sentir groupe. Je me demande si ce qu'on appelle le harcèlement psychologique au travail ne vient pas de ce mécanisme où on a besoin d'identifier le « rejet » le membre faible du groupe, et de le blesser pour faire partie du groupe.

Comment résoudre le problème dans une classe? Je ne sais pas. Mais je pense aux enseignants qui voient ce phénomène: est-ce que la présence du « boiteux » aide au fonctionnement de la classe?