Nouvelle du Nord-- Deux mégaptères

Fait exceptionnel, il y a deux mégaptères dans le Golfe Saint-Laurent cet hiver. J'aimerais bien avoir une petite conversation avec eux. J'aurais beaucoup à apprendre.

En janvier, il ne reste que de très rares grands rorquals bleus dans le golfe. C'est la saison des vacances et des amours là-bas sous les tropiques. Les baleines partent en octobre, trois ou quatre garçons qui suivent une fille qui demande de la tendresse parce que c'est la saison des amours. Les filles avec des bébés forment des groupes pour protéger les petits, elles quittent les pâturages qui vont bientôt s'englacer, pour les vacances d'hiver dans des suds si improbables, qu'un ours ordinaire ne peut même pas les imaginer.

Il y a très peu de mentions de mégaptère dans le golfe après le 4 novembre, et elles sont douteuses. Les grands froids font fumer la mer, et c'est facile de voir les souffles de baleines qu'on désire tant, même s'il n'y a plus de baleines. Cette année, il y a plusieurs observations qui ne laissent aucun doute deux mégaptères sont restés. On a même des enregistrements de leurs chants. Je suis prêt à parier une bonne partie de ma fourrure que ce sont deux jeunes mâles. Rien à voir avec des garçons qui jouent à se montrer les muscles ou à qui pisse le plus loin. Chants d'amour? Peut-être, il y a des manifestations d'homosexualité chez presque toutes les espèces de mammifères.

Mais pourquoi restent-ils au Nord? Se sentent-ils différents? Exclus? Ou peut-être simplement s'exclure du groupe, parce qu'ils sont bien ensemble? Ce qui supposerait des individualités, des personnalités, des sentiments, une psychologie, des déviances... des mots qu'on n'utilise que pour les humains.

Ils n'ont pas été vu depuis le 2 janvier, simplement parce qu'on les voyait dans la baie de Gaspé maintenant englacée. Mais un pilote d'avion, un bon observateur, habitué à survoler le golfe est sûr de les avoir vus au sud est d'Anticosti. Je crois que les mégaptères sont plus sensibles aux petites blessures que peuvent causer les glaces que les autres grands mammifères marins. Je présume qu'en étant prudent, il est possible de passer un hiver agréable dans le grand garde-manger. Dommage qu'il ne mange pas de phoques, il y en a vraiment beaucoup.

Dans ce babil de deux amoureux se répétant des banalités si uniques et particulières, je nous reconnais. Je me reconnais dans mes amours si différents et pourtant si semblables. Je suis unique comme tout le monde, dans le grand courant de la vie. Vivant et célébrant la vie.