La lame de Ramah (sixième partie)

Ce n'est pas parce qu'il y a une mission qu'on en revient victorieux. Parfois le combat se refuse. Il faut accepter l'inutilité. Parce que la seule réalité utile c'est survivre, et encore... Ce n'est pas aujourd'hui que je vais travailler sur la septième partie... mais je vais tenter de le faire en fin de semaine.

Le soleil va bientôt se lever. Qalingu le sens dans son dos. La pèche est bonne, les ikaluit (les truites) ont faim. Il pourra se faire un stock pour la longue marche de retour qui se prépare. La quête est un échec. Le voyage inutile, rien, l’appel ne conduisait à rien, et c’est davantage cela qui l’attriste que la perte des chiens. Ce n’est ni la première ni certainement la dernière fois qu’il perd des chiens. Mais les perdre inutilement, si rapidement, cela le blesse. Il reste à survivre.

Le soleil va se lever bientôt, il se lèvera là devant lui, l’aube n’est plus rose, mais presque orange de la couleur de la chair d’ikaluit. Il lève les yeux, et le voit, un immense loup, et un loup seul, où est la meute? le loup silencieux le regarde. Qalingu baisse tout de suite la tête, ne pas montrer qu’il a vu le monstre. Se préparer, c’est clair que ce loup qui se cache, attend que le soleil se lève, alors l’Inuk sera ébloui et ne verra pas le loup bondir par-dessus la glace fragile et lui tomber dessus comme le tonnerre. Pêcher, se détendre, se reposer. Le loup lui dépense son énergie à être tendu, à bander ses muscles, l’homme doit compenser sa faiblesse d’homme face au loup par l’habileté, par le calme, par la préparation.

Et si c’était cela? Si la Lame de Ramah lui était venue pour cela, cette lame faite d’une pierre si étrange translucide et très coupante. Si étrange qu’il ne s’en sert qu’en cas de stricte nécessité, ou pour tuer un phoque que la lance fait souffrir. Parce que la lame tue net, un coup et c’est la fin. Cela fait au moins 5 hivers qu’il la porte, depuis qu’un chaman étrange le lui a donné. C’est une très vieille lame qui vient des hommes d’avant les Inuits lui dit-il. Un de ceux qui osaient traverser la passe de la Gorok, atteindre la vallée de Ramah, pour amadouer Naanualuk l’esprit de l’ours qui en a fait sa maison, et trouver dans la montagne cette pierre qui brille.

Étrangement cette pierre si froide, lui chauffe le ventre. Calme, sourire et paix, la pierre lui donne son énergie, cela ne sert à rien de gaspiller ce dont il aura tant besoin en appréhension. Ne pas prévoir, mais être prêt, parce que ce n’est pas ce qu’on prévoit qui arrive, mais ce qui arrive. Alors, calme, laissons toutes les options ouvertes. Le soleil viendra, et les gestes se feront. Tiens une autre truite veut venir le nourrir.

Dans le geste de mettre ikaluit près de lui, il sort la lame en la cachant de sa mitaine. Pêcher comme il est logique de le faire en pareil lieu, comme s’il n’y avait rien, parce qu’il n’y a rien. Bientôt il y aura quelque chose, mais maintenant il n’y a rien, donc on pêche. Mais il ne peut plus ignorer l’énorme tension du loup dont tous les muscles sont devenus un immense ressort, d’une puissance énorme, et cette glace si fragile que l’homme ne peut se mettre debout, il aura à rouler.

Maintenant! Le soleil vient de passer la montagne, le loup bondit, l’homme lève le bras et la lame fait son office. Elle capte ce premier rayon de soleil et aveugle le loup. L’avantage du loup devient l’avantage de l’homme. Rouler, rouler, vite! Le poids de l’énorme bête retombe et la glace se rompt. Rouler une douleur atroce à la jambe. S’asseoir et frapper avec tout ce qu’il reste d’énergie. La bête reçoit la lame de Ramah dans le cou et immédiatement les mâchoires qui ont brisé l’os de la jambe lâchent prise. La douleur étourdie l’Inuk l’empêche de voir clairement. Il retombe sur le dos tentant de reprendre ses esprits.

Le loup se voyant enfoncer dans l’eau a mordu la jambe de l’homme broyant l’os en cherchant une prise pour s’en sortir. Le loup est mort, l’homme guère mieux.

Une section de la passe de Gorok à la fin de l'été, qui relie la Baie d'Ungava à la Baie de Ramah. Une paysage rongé par les glaciers.