Le caribou englouti

Je ne suis pas le seul à donner des nouvelles du Nord. Les journaux en sont pleins. Mais pourquoi s'intéresser à ce qui se passe ailleurs ?

En France, l'affaire Bettancourt occupe les journalistes, ici c'est un changement dans la loi sur les recensements. Oui, il y a bien les incendies en Russie et les inondations au Pakistan, mais ce n'est pas ça qui va payer l'hypothèque, ni trouver l'amour de ma vie.

Les caribous par dizaine de milliers se déplacent lentement dans la plaine sans arbre qui borde la mer Arctique. Il y a eu des montagnes ici, mais les glaciers les ont écrasé, il ne reste que des vallonnements doux comme des petits seins de jeunes femmes. Il n'y a pas un seul arbre aussi loin que porte le regard. Ici, c'est le pergélisol, sous la couche de quelques centimètres où poussent la mousse et l'herbe particulièrement abondante cette année, il y a des dizaines de mètres de glace mélangée au sol de moraine, la roche broyée aussi finement que de la farine par le frottement des glaciers.

Un caribou marche un peu à l'écart vers une touffe d'herbe qui semble bien appétissante. Tout à coup, il s'enfonce dans le sol, il se débat et veut nager ce qui ne fait qu'agrandir la flaque de boue autour de lui. On l'entend crier, appeler et puis plus rien, la tête s'est enfoncée, il est disparu. Les autres caribous ont fait semblant de ne pas entendre, n'ont eu que des tremblements nerveux comme pour chasser les moustiques trop abondants. Je pense qu'ils savent que ce danger est maintenant permanent, toujours le sol peut s'ouvrir sous leurs pattes et ils disparaissent sans aucun espoir de secours. Les caribous font semblant de ne pas savoir.

Notre petite planète vit l'année la plus chaude depuis que nous sommes capables de mesurer les températures. La forêt boréale brule, le pergélisol fond à grande vitesse libérant des milliards de tonnes de méthane beaucoup plus actif que le co2 dans le développement de l'effet de serre. Le sol s'ouvre sous nos pas.

À cause du courant La Nina, l'hiver prochain sera probablement un peu plus froid que la moyenne. Ce sera une bonne occasion de bruler plus de pétrole. Les grandes gueules à la radio en profiteront pour rire des prophètes de malheur qui parlent de réchauffement climatique. Et nous ferons semblant de ne pas savoir.