Prière pour le prince

Un jeune huard perdu sur le lac de la Belle endormie. Réussira-t-il à partir?

Le roi du lac, Juan le Roy, a été inquiet tout l’été. Pas qu’il me l’ait dit personnellement. Il tient au respect et à la distance nécessaire pour que sa majesté s’exprime. J’ai même la prétention de croire qu’il est mon ami, même si jamais il n’acceptera de s’abaisser à exprimer ses véritables sentiments.

 

Cette année, un seul fils, et voilà qu’il n’est pas un huard comme les autres. Nerveux, inquiet, malhabile, jamais au bon endroit, incapable d’apprendre, que faire? Juan n’est pas à sa première nichée, plusieurs fois il a amené à maturité de jeunes étourdis. Mais cette fois-ci, la tâche semble impossible. Oui, beaucoup de parents connaissent la même tristesse, que faire d’un enfant si différent?

 

Il y a une semaine, par une journée de vent de nord, Juan et sa dame sont venus me dire au revoir :

 

Au revoir amis, moi aussi je pars très bientôt. Je laisserai la direction de l’auberge de l’Ours qui danse aux bons soins des mésanges très nombreuses cette année. Grand risque qu’une partie de l’hiver se passe à l’hôpital. Je n’ai pas le goût… j’espère revenir en même temps que toi au printemps.

 

Le huard est un oiseau très lourd qui a beaucoup de difficulté à prendre son envol. Il faut un fort vent de face et même alors il a besoin de plus d’un kilomètre pour s’arracher de l’eau et avoir la vitesse suffisante pour monter. Je crois les avoir vus dans la longue course de l’autre côté du lac.

 

Cet après-midi, j’ai vu le prince seul, perdu, inquiet qui essaie de sentir si ce vent peut le porter… mais connaît-il la route? Sait-il où trouver un lac qui ne gèlera pas? On ne peut pas s’envoler plusieurs fois, cela attaque nos réserves de graisse et on risque de mourir d’épuisement.

 

Il n’a pas su partir, suivre ses parents comme il devait le faire. L’hiver, ce grand prédateur, vient!