Le retour du moqueur-chat

Durant plus de deux mois l’été dernier, un moqueur-chat a joué à cache avec moi. C’est dans la famille des mimidés qu’on trouve les meilleurs chanteurs de la planète. Il paraît que dans des sud trop chauds pour moi, il y a des moqueurs aux voix incomparables, des imitateurs capables de battre tous les perroquets. Je n’en connais qu’un et c’est bien suffisant à mon bonheur.

Dans mon coin, il n’y a que le moqueur-chat et encore c’est le point le plus Nord de son aire d’habitation. C’est un oiseau gris assez terne de la taille d’une grive, qui aime les bosquets très denses. On l’appelle moqueur-chat parce qu’il a un cri d’alerte très proche d’un miaulement et qui ponctue ses longues phrases chantées. Malheureusement, je ne crois pas que les mimidés soient présents en Europe.

Généralement, c’est un clown brillant qui aime au couchant s’installer sur une branche bien à la vue et chanter. Chacun son style, mais la plus part ont un large répertoire de cris d’oiseaux, et de sons de leur environnement. L’apparition des téléphones portables aux sonneries très variées a beaucoup contribué au vocabulaire de ces oiseaux.

Mon ami est particulier. Il joue à cache-cache avec moi. Je l’entends m’appeler, il attend que je sois confortablement installé avec des jumelles pour le chercher parmi les branches, et il commence son concert. Contrairement aux autres moqueurs-chats, mon ami reste caché, sautant de perchoir en perchoir pour que je le suive du regard, mais sans que je ne voie jamais plus qu’une ombre, un petit tas de plumes qui ne se devine que pour mieux se cacher.

Pour quelqu’un qui cherche à être vu et entendu, n’est-ce pas le summum du raffinement que de se presque cacher? N’est-ce pas le meilleur moyen que je me passionne pour son chant et son jeu que de me laisser deviner, plutôt que de s’imposer? Cet oiseau a compris la différence entre l’érotisme et la pornographie, ce qu’on sait presque cacher est plus désirable que ce que l’on montre.

Avant de partir l’automne dernier, il m’a appelé et m’a laissé le temps de prendre une photo, une seule, pour que j’en garde le souvenir tout l’hiver. Et sans doute aussi pour marquer sa victoire à ce jeu qu’il a joué avec moi, de moi durant tout ce temps. Le voilà revenu, et il recommence son jeu.

Oui mon ami, je vais faire le dupe et le complice. Oui, je vais te suivre sans te voir, oui je vais jouer. Mais ne crois pas que c’est toi qui gagnes, c’est moi qui suis le plus heureux d’avoir un ami de ta qualité.

J’ai des extraits de son chant de l’an dernier. Mais je crois que ce serait tricher que de les mettre ici. Je vous promets d’ici peu les nouvelles variations de son charmant discours. Par contre, ma seule photo pour lui rendre hommage. Elle n’est vraiment pas aussi bonne que je l’aurais aimé, mais c’est son choix( et ma maladresse).