Le serment du jardinier

Il y a eu des élections à Montréal. Nous avons élu Luc Ferrandez l'homme qui a écrit ce texte. Cela a fait naître en moi un immense espoir.

Le serment du jardinier

Je tenterai de faire éclore le sens et la beauté de notre ville à travers ses espaces de retrait poétique. Je ne m’endormirai jamais sans rêver d’agrandir notre accès aux berges tant sur la rivière que sur le fleuve. J’étudierai le Mont-Royal, sous tous ses angles et sous toutes les lumières pour comprendre ce qu’il choisit de cacher à la ville ou quand il choisit de nous la faire découvrir à ses pieds.

Je protégerai chaque centimètre de terre, même laide, contre tous les besoins de passage, d’éclairage, d’affichage, de déneigement, de livraison, d’accès, de sécurité, de stationnement ; je creuserai pour découvrir des ruisseaux, j’inventerai des promontoires, je manigancerai pour rabouter des bouts de boisés et en faire des forêts de toutes les couleurs ou des plaines infinies et leur centaine de neiges. J’imposerai partout le bruit de l’eau et elle imposera partout ses gels et ses dégels, ses suintements, ses infiltrations, ses flaques, ses cascades et ses vagues.

Je protégerai le travail des jardiniers et des horticulteurs qui surveilleront, toute leur vie durant, la croissance des arbres choisis et aimés, leurs ombres opaques ou translucides dansantes et frémissantes sur un monde de plantes riches et pérennes.

Je tisserai les lieux qui nous suivent dans nos rêveries et nos songes; qui nous rattachent à notre territoire ou qui nous propulsent en voyage. Je comprendrai les lieux de grandeur, de retrait, d’évasion, de rencontre ou de méditation.
Je m'appuierai sur tous les savoirs nécessaires à la création d’un site ; la nature, certes, mais aussi les grands moments de notre histoire, nos origines diverses, la lutte de nos ancêtres pour un monde meilleur, la solidarité sociale et la course contre le dérèglement de la planète.

Je regarderai vers Robillard, Marie Victorin et Olmstead et je dédommagerai les poètes qui s’en sont allés dans le silence, écrasés par notre évitement collectif de la beauté depuis trop de décennies.