LA TOTALE

Peu importe le temps, peu importe la grippe, le chien a le droit de sortir.

J’entends le chien dans l’escalier. Je réussis à entrebâiller un œil sur la cruelle réalité, noooon. J’ai mal à la tête, fiévreux, le nez complètement bloqué, la gorge en feu : j’ai dû ronfler tellement fort que les meubles se sont déplacés. Il saute sur le lit, me sent très longuement pour faire son diagnostic, et constate que je ne suis pas mort. Ça suffit à le rendre heureux.

Platon est un chien heureux. Les Anglais ont une expression : « flapping happy ». Stupidement heureux comme un bébé qui constate que ses bras bougent. Je sais en français, il y a l’expression « prendre son pied » mais il me semble que cela n’a pas le même sens de bonheur niais, fondamental, le bonheur qui vient de l’inconscience. J’ai sur le ventre 5 kilos de bonheur fébrile enveloppé de poil. Quand on est malade, c’est désespérant. La vie est un jeu. J’ai survécu à la nuit, donc je veux jouer.

La suite est pire, parce que le matin, peut importe qu’il fasse froid qu’il pleuve, vente ou fasse beau, il faut sortir. Il peut être patient 5 minutes, mais il faut quand même sortir. Se mettre en action, s’habiller, boire un jus d’orange pendant que le café coule, se préparer enfin tout en évitant de se regarder dans un miroir, j’ai peur de m’évanouir à la vue de l’horreur. J’ouvre la radio, juste à temps pour entendre le monsieur dire qu’il neige. Que 30 cm de neige, ce n’est pas une tempête, qu’en dessous de 60 cm ce ne peut pas être une tempête. Il ne parle pas du vent à 70 KM/heure, parce que je serais tout de suite retourné me coucher. Le chien est compréhensif, il ne jappe pas pour sortir. Il se doute bien qu’avec mon mal de tête, il risque un très long vol plané (non je ne le ferai pas, mais c’est juste parce que j’ai trop mal à tous mes muscles).

On sort. Enfin, on tente, je dois pousser sérieusement sur la porte, il y a déjà suffisamment de neige d’accumulée pour que ça résiste. Platon regarde et constate l’étendue du dégât. Un immense espoir nait dans mon cœur : il retournera se coucher. Non il saute, s’enfonce, ressaute, et constate que le jeu est superchouette. Je n’ai plus qu’à le suivre.

Déjà que j’ai de la difficulté à respirer, avec ce vent et cette neige dans la gueule, ça devient un sport extrême. Heureusement, il ne fait pas trop froid. Je dirais moins cinq, moins quinze avec le vent.

Platon est un chien propre, c'est-à-dire qu’il n’est absolument pas question qu’il laisse ses déjections sur son terrain. Le problème c’est qu’avec le temps son terrain s’agrandit et qu’il faut aller de plus en plus loin pour qu’il puisse se soulager. Heureusement aujourd’hui, la neige lui fait perdre ses repères. Je vais m’en tirer en moins de dix minutes.

Enfin, je peux retourner me coucher.