Le clochard snob

Beau soleil mais journée froide sur Montréal, un vent piquant nous enlève le goût de bouger. Il faut sortir quand même, et je connais un endroit pour ces jours-là.

Oui, un petit parc qui entoure une bouche de métro, quelques arbres dénudés, un long mur qui bloque le vent, et un bon soleil qui veut bien nous faire croire que ce sera le printemps un jour. Je m'assois sur un banc pour constater qu'il n'y a pas que le soleil qui chauffe ce petit espace, une bouche d'aération du métro souffle une brise presque estivale. Bon, ça sent un peu le caoutchouc des pneus, l'humanité laborieuse, mais quand il fait -15 ailleurs, on ne se plaint pas et on en profite.

Je suis loin d'être le seul à connaître le petit coin. Il y a des signes évidents qu'un clochard dort ici avec au moins un chien. Vie pénible qu'être clochard dans une ville du Nord. Il y a des refuges, mais ils n'acceptent pas les chiens. Alors, ils survivent comme ils peuvent aux grands froids de l'hiver, et parfois, ils n'en survivent pas.

Pour l'instant, il n'y a que moi, et une cinquantaine de pigeons, à qui l'air du métro parle aussi du printemps. Les mâles racontent des trucs que je ne veux pas comprendre aux femelles qui ne manifestent aucun intérêt pour le moment. Cela forme une danse particulière où on se pile un peu sur les pattes pour ne pas sortir du courant d'air chaud, mais où on tente d'éviter à la fois les coups de bec, ou qu'un excité vous monte sur le dos.

Il y a en un qui se lasse et vient près de moi sur le banc. Tout de suite il commence un discours un peu méprisant pour ses congénères, expliquant que lui, il sait se tenir, que lui, il est Palombe, que lui... que lui... J'écoute ce discours avec un certain sourire, les palombes sont des pigeons ramiers qui migrent, et sa seule présence en ville au coeur de l'hiver, prouve son mensonge. Mais qui serais-je pour le condamner, moi qui suis aussi en ville et ne désire que la forêt.

Soyons clairs, pour lui comme pour moi, c'est en ville qu'il est le plus facile de trouver notre repas et c'est pour ça que nous sommes là. Je ne sais pas pourquoi on méprise autant les pigeons. Ils sont magnifiques avec de grandes variétés de couleurs, ont un vol précis et puissant, et battent en baratin tous les chanteurs de charme.

Avantage sur moi, ils font aux statues des grands hommes ce que j'ai toujours désiré faire, sans vraiment oser.

S'il y en a tant en ville, c'est simplement parce que vous laissez trainer tellement d'immondices qu'ils ont largement de quoi se nourrir. C'est aussi parce que vous refusez de les manger. Pourtant, c'est de la bonne viande. Il y a un couple de faucons pélerins qui habitent près de chez moi, et ils se nourrissent presqu'exclusivement de pigeons.

Demain, 25 à 30 centimètres de neige sur Montréal, je vais revenir les voir.