L'inquiétude de Maki le Merle

Des gestes qu'on pose parce qu'on les croit nécessaires provoquent des catastrophes pour les autres. Il est impossible de mesurer toutes les conséquences. Portant il faut agir, l'immobilité provoquera aussi des catastrophes.

L'an dernier, j'ai dû couper deux grands ormes très malades de la maladie hollandaise. Et qui menaçaient de tomber sur la ouache, un arbre de plus de 30 mètres qui s'effondrent lors d'une tempête, ça fait des dégâts. J'avais attendu la fin de la saison de nidification parce que je savais bien que ces arbres cachaient bien des nids, de jaseurs des cèdres, de grives, de bruants divers et variés, mais surtout celui de mon ami le fidèle gardien de la ouache, Maki le Merle d'Amérique (celui avec le ventre rouge-orange).

Si vous avez besoin d'un gardien, embauchez un voleur. Non seulement il connait les trucs du métier, mais en plus il est très inquiet. Il sait que s'il y a un vol, on l'accusera lui le premier, alors il monte bien la garde. La période des concours de chants pour s'attirer les faveurs des dames est terminée.

Les dames sont installées au nid et le travail consiste à éloigner les prédateurs, souvent en s'offrant comme cible, et surtout à ne laisser aucun autre merle s'approcher. Les merles sont très jaloux. Ici, les plus dangereux prédateurs sont les écureuils qui adorent les oeufs. Par chance, il y a le chien Platon qui surveille au sol, et il est pratiquement impossible aux dénicheurs de s'approcher. Ce petit jappeur manque de la dignité et de la morgue que doit afficher un voleur qui se respecte. Platon craint un peu l'oiseau qui n'a peur de rien et fonce sur lui en criant. Ce n'est pas tant qu'il y ait un danger, mais que dieu de dieu, si on ne peut plus s'amuser, dans quel monde vivons-nous!

Pourtant, je fais très attention à ne pas voir ni savoir que le nid maintenant n'est plus dans un orme mais dans le tilleul. La couverture des feuilles est meilleure, le camouflage aussi, mais il y a beaucoup plus de branches d'où un ennemi pourrait venir. Donc il faut être encore plus vigilant.

Dommage, mais j'ai à passer assez souvent sous cet arbre. À chaque fois Maki s'envole et criant, pour attirer l'attention. Si je m'approche trop, il tombe par terre en voletant l'aile brisée, et au moment où je vais lui porter secours (ou le croquer) il s'envole très en forme. Mais j'avoue que l'imitation est tellement bonne que je m'y laisse presque prendre à chaque fois. Et il faut accepter la convention du théatre, l'acteur fait tout ce qu'il peut, jouons le jeu, ce sera pour notre plus grand plaisir.

La semaine prochaine, le nid sera très bruyant et dans une vingtaine, les petits seront aussi des gardiens malhabiles, mais dévoués. Mais je m'ennuie du beau chant de Maki. Il ne chante plus que le matin et le soir, comme une espèce de prière, pour accomplir aussi sa tâche, dire la Beauté du Monde.

Il fait un temps magnifique pour la voile, alors je me sauve...