La voile c’est de la danse
mercredi 16 août 2006, 23:31 General Lien permanent
L’avantage de vivre sur le bord d’un lac, c’est que quand j’en ai ma claque de travailler, je descends, je hisse les voiles et en moins de 3 minutes, je glisse sur le lac. Vous êtes jaloux? J’espère. Vous pouvez aller au cinéma quand vous voulez. Moi je danse quand je veux.
Je suis presque sûr que c’est la grande Chorégraphe Pina Bausch que la beauté de la danse était dans le risque de tomber. Tout est question d’équilibre, mais la beauté est sur le fin fil du rapport dans l’espace.
Un petit dériveur (un 420 pour ceux qui aiment) c’est un tas de bouts de corde, du tissu accroché à une perche sur un petit truc en plastique. Quand on le met à l’eau, c’est gauche et pataud comme un albatros, ses ailes sont beaucoup trop grandes pour son petit corps, ça se dandine sans pouvoir choisir une direction. Puis on tend un peu, et ça commence à vivre. On ne tend pas tellement les bouts que vers un objectif, trouver l’équilibre, le bon rapport entre le vent, la forme, la masse, la lumière, le goût, la vitesse, le plaisir, la musique que l’on cherche.
Maintenant on vise. On cherche un cap comme on choisit un rythme de danse, est-ce que je veux faire du largue, de la valse, du près, du tango, où si j’improvise, je cherche seulement à voler. Je choisirai de voler.
Le bateau est d’accord, il aime planer. Alors, on s’accroche, on s’accorde, on se lie. On respire ensemble en cherchant une vague, et puis quand nous sommes en accord, l’étrave se lève vers le ciel et la grande glissade commence. Pas de mouvement brusque, tout peut nous faire tomber. Mais il est évident qu’on vole, il est évident au silence devant qu’on ne touche plus l’eau, et puis le bateau chante. La dérive dans son puits vibre et cela fait un son grave qu’on sent dans tout le corps. Et puis la note monte, le bateau crie, s’époumone à dire sa joie.
Soyons francs. Au poids de la bête (moi) l’arrière du bateau reste à l’eau. Ce n’est pas de sa faute, mais je suis vraiment trop lourd pour ses petites ailes. Ne lui dites pas, il a tous les courages et espère encore m’amener au-delà du ciel.
Une risée vient. On lâche un peu les bouts, le bateau se penche quand même, je monte vite au rappel, trop lourd je tends un peu trop et tout se transforme en vitesse, la gite est extrême. C’est le moment magique où on doit tomber mais qu’on traversera parce qu’il n’est pas beau de tomber. Alors, on ira plus vite, l’effort sera encore plus grand, mais sans que cela paraisse parce que seule la grâce est jolie.
Équilibre, tension et souplesse c’est ça la danse, c’est ça la voile. On a pas à rester des heures sur ce plancher de danse qui bouge beaucoup. Très vite, tous nos muscles réclament une pause, c’est le temps de virer.
On est pas en course, alors je me permets une petite pause le nez dans le vent. On calme le cœur et le souffle, un tire un peu sur les bouts et c’est reparti. Un aller-retour par le travers du lac me suffit, 6 kilomètres, de cette tension c’est assez pour revenir à ma table avec un esprit neuf, et un grand sourire dans tout le corps.
Commentaires
Waouh, comme tu racontes bien tes virées à la voile...
C'est marrant parce que j'ai fait du bâteau aussi cet après-midi (un p'tit truc à moteur, moins poétique). Il y avait BEAUCOUP de vagues et je n'étais pas très rassurée, Loutre n°2 non plus (elle pleurait) et Loutre n°1 a proprement A DO RÉ...
Y' a pas de cinéma là où tu vis ????
Et, au fait, comment se fait-il que tu parles aussi bien le français ???????
Laflote--) il me semble que je dis souvent que je vis en forêt. Oui. il y a un cinéma, à 60 kilomètres, ça fait long à bicyclette surtout en revenant le soir... Parler bien le français? merci mais j'en doute beaucoup...Enfin, j'y travaille très fort depuis 2 ans.
haaa, moukmouk, j'en veux d'autres des billets comme ça !!! SUPERBE !!
d'autant que, enfin, j'ai pu le partager avec dodinou, un voileux breton s'il en est, qui en général regarde tout ce qui touche aux blogs d'un oeil plutôt suspicieux...
et je peux ainsi te donner la primeur de nos 2 visions totalement opposées de ce sport :
dodinou : "Tout est question d’équilibre" -- wow, oui alors, c'est drôlement bien écrit dis-donc, c'est exactement ça. (c'est qui celui qui écrit ça déjà ?)
dodinette : "Très vite, tous nos muscles réclament une pause" -- et oui, je suis exactement d'accord : la voile, c'est bien quand ça s'arrête.
Wouaouw ! Quelle aventure ! Et là pour le coup, l'expression est juste : elle est juste en bas de chez toi ;o)
ça me ramène un peu plus de quatre ans en arrière... Don Pedro et moi étions en Nouvelle Zélande, dans la baie d'Auckland, sur un tout petit ferry qui suivait à grand peine malgré ses moteurs, les voiliers qui participaient à la Volvo Race. Nous assistions au départ d'une étape. Il ne faisait pas très beau pour un touriste, mais le vent devait bien convenir aux marins en course. La baie était tellement pleine de bateaux en tout genre (il y a même eu un fou furieux en planche à voile) que l'eau semblait bouillir à gros bouillon. ça secouait fort sur le ferry, et plus ça secouait, plus j'étais ravie, aux anges alors que la plupart des autres s'accrochaient comme des fous au bastingage ou se précipitaient aux toilettes... J'ai même volé une fois ou deux ! Je n'ai pas le poids d'un ours polaire, mais je n'ai pas non plus le gabarit d'une brindille...
Moi j'imaginais que la voile, c'était tranquille, même pour une course... je m'étais mis le doigt dans l'oeil jusqu'à l'omoplate. ça m'a impressionnée, vraiment.
Un jour peut-être, je me mettrais à apprendre ? Qui sait ;o)
Sinon, est-ce que tu connais le film "Liberté Oléron" des frères Podalydès ? Si tu en as l'occasion, visionne-le (il existe en DVD, point besoin d'un cinéma !), c'est hilarant.
Tu habites en forêt, c'est vrai, pardonne moi mais je t'ai laissé le premier message un peu tard alors je n'avais plus tout à fait toutes mes fonctions cérébrales ;-DD
Sinon, oui, tu écris bien en français (même si, exigent que tu es, tu penses que "non") !!!
Bon sang j'ai un lac à 3mn de chez moi.. me manque plus que le dériveur pour vivre des choses tout pareil à toi? mmmh...
Wouaouw !
Ben oui je vais au cinéma. Mais pour voir "Pirates des caraibes". Même si le film est génial, même si il est rempli de bateau à voile, ça ne vaut pas ce que tu en dis.
huhu meme pas jalouse, j'ai le mal de mer...Cheri fait du bateau avec un ami, le bateau est au bout de la rue, mais merci non ca ne me tente pas du tout...Mais j'aime boire un verre au bord de l'eau, ca oui oui!
Sur ton frêle esquif te voilà l'égal de tes amis les oiseaux!
Ce billet est vraiment remarquable,on a envie d'essayer...mais on se dit qu'à te lire bien au sec,sur la terre ferme.. on a toutes les sensations sans les dangers de chavirer!
Je suis née au bord de la mer et je fais de la danse... Ce texte est un délice... tout simplement! Merci.
Tellement bien écrite cette union entre le marin et le bateau...Moi, je parle beaucoup à mon voilier lorsque je navigue, j'ai l'impression de ressentir une confiance mutuelle.