Rencontre sur la plage

Comme tous les matins, mon principal problème est de choisir un itinéraire pour ma marche. Chacun d’eux offre ses surprises et ses inconvénients. Il a plu cette nuit et la montagne est encore noyée dans la brume. Ce sera trop humide, et surtout trop difficile de surprendre un oiseau ou un animal.

Tiens, je vais aller vers la plage. Durant l’été, il y a trop d’humains et rien à y voir, enfin presque rien. Le gros kilomètre qui m’en sépare est vite avalé dans le silence presque total de la brume sans vent. Parfois j’entends des gouttes d’eau qui tombent d’une branche. Cela me fait constater l’extraordinaire calme qui règne ici, quand les humains sont partis. J’arrête pour me consacrer tout entier à entendre, pour profiter de ce moment.

Il faut d’abord diminuer le bruit que fait le cœur et la respiration, impossible d’entendre quoique ce soit quand on fait autant de tapage. Puis il faut arrêter le bruit dans la tête. La folle du logis échafaude tout le temps les hypothèses les plus farfelues et nous empêche d’entendre, de sentir ce qu’il y a autour de nous. Et puis le monde vient à nous. Il y a cet écureuil qui s’arrête un instant pour voir ce que je peux bien faire avant de reprendre sa course, une mésange tape du bec sur une graine. Une paruline s’envole dans l’érable, et oui, il y a un lièvre que ronge du cèdre. Un pic cherche son déjeuner, il est trop loin je ne l’identifierai pas à son bruit.

Puis une corneille passe dans le ciel et en profite pour rigoler de mon immobilité. Les corneilles sont très impolies et passent des commentaires sur tout et n’importe quoi. Ça casse l’écoute que j’avais pu construire, il ne me reste que me rendre à la plage.

Je réussis quand même à rester attentif aux bruits. Et quand mes pieds touchent le sable fin, je suis surpris d’entendre combien mes pas résonnent. Il y a nettement un effet de tambour quand on marche dans le sable. Puis à 10 pas, un truc brun assez long marche d’un pas assez pataud et pourtant rapide en remontant du lac vers la forêt. L’ombre brune disparaît vite, mais me laisse ce cri.

Mon premier réflexe a été de regarder dans le ciel tellement je suis sûr que c’est un épervier. Mais non cela vient de la forêt tout proche. Maman loutre vient d’appeler son petit, et si vous remarquez bien le dernier son est différent, c’est le petit qui a répondu. Je suis surpris d’un son si aigu provenant d’un animal quand même gros ( au moins 7 kilo).

Des petits en cette saison? Bien sûr, les loutres ont la possibilité de retarder le développement de l’embryon jusqu'à ce que les conditions soient favorables. Trop d’humains sur la plage est une condition défavorable et elle a dû accoucher vers le 1 septembre. Les petits de la loutre sont particulièrement faibles et vulnérables comme les petits d’humains.

Mais je suis quand même très heureux, je n’avais jamais entendu une loutre. Dommage que l’appareil photo soit tombé à l’eau lors de l’attaque du vison, j’aurais pu vous la montrer aussi ( peut-être).