La lame de Ramah--- Un récit Inuit (quatrième partie)
dimanche 10 décembre 2006, 12:34 General Lien permanent
L’écriture est l’amie de ceux qui ne dorment pas. Alors, c’est dimanche voici la suite. Je me suis réveillé à 4 heures du matin, le temps de se préparer pour une bonne chasse. Malheureusement, le phoque est bien rare en ville… Il vaut mieux écrire. Pas que j’aie particulièrement peur des monstres de la nuit, ils sont plutôt ridicules dans leurs tentatives d’inquiéter. Mais ce n’est pas une raison de les laisser entrer. On finirait par en trouver, des raisons qui semblent plus sérieuses. Alors qu’il est de loin préférable de se laisser bercer dans la confiance des bras de la vie… Pour les nouveaux, allez aux 3 dimanches précédents pour le début du texte. Je pense qu’il en reste 2 ou 3 partie si j’ai bien compris l’histoire. Il faut cependant la laisser vivre, se fier à l’histoire comme on se fie à la vie, autrement les monstres des mots sont bien capables de nous empêcher d’écrire.
Les chiens étaient contents de repartir. Ils sont nés pour courir, courir est le sens des choses, et être dans le sens des choses apporte la joie.
Au bout du territoire des gens du clan de Qumaq, du clan de la grande rivière Korksoak, il y a encore la Korksoak. Ce qui fait la frontière, c’est un affluent, une rivière assez large à son embouchure et qui va toute droite entre deux montagnes assez hautes. Les chiens n’ont pas hésité. Sans même ralentir, ils sont descendus sur la rivière gelée et ils courent maintenant entre les deux montagnes. Qalingu a bien crié plusieurs fois « Hra-Hra-Hra » pour les faire tourner à gauche et reprendre une possible route le long de la Korksoak, mais les chiens ne veulent pas. Il pourrait les faire arrêter. Mais non, c’est clair maintenant que Kajualuk entend l’appel. C’est logique, la grande chienne aura moins de doute que l’homme, elle obéira plus facilement. Il vaut donc mieux suivre.
Ce qui inquiète l’Inuk, ce n’est pas tant d’avoir quitté le bord de la grande rivière. Ce n’est pas non plus la crainte de courir sur la glace d’une rivière. C’est toujours dangereux surtout à cette vitesse, qu’il y ait une faiblesse, un trou où le courant a affaibli la glace. Non ce qui inquiète l’Inuk, ce sont les montagnes. Ces falaises qui montent droites de chaque coté de la rivière et qui bloquent presque complètement la lumière, ce n’est pas un paysage qu’il connaît. C’est un homme de la mer, de la plaine au bord de la mer. Il y a des falaises au bord de la mer, mais il y a toujours un côté vaste où on peut fuir. Ici, il n’y a que devant ou derrière. Il y a que le passé ou l’avenir, sans possibilité de choisir.
Et voilà que cela se bloque aussi à l’avant. Il y a une chute. Se jeter par terre, pour freiner le traîneau, tout tenter pour stopper les chiens. Au pied d’une chute, la glace est mauvaise. Il réussit, se lève pour souffler et bien regarder, il faut trouver la solution.
Kajualuk est très nerveuse, elle cherche aussi une voie de passage. La chute à 3 hauteurs d’homme, ce n’est pas énorme, mais c’est impossible de monter le cométique chargé et les chiens attelés. Qalingu va à coté de la chienne et lui parle, lui explique les options pour la calmer et lui demander sa collaboration. Regarde là sur la gauche, il y a une voie possible, en attachant 2 chiens à un sac, et après le cométique vide, on pourra monter toute la charge en 3 voyages.
Le sac le plus léger pour les deux premiers chiens, un peu plus lourd pour les 3 autres, l’homme marche devant tentant d’ouvrir une piste dans la neige assez profonde de la berge. Ce sera une piste de 300 pas. Rien de terrible, mais avec la pente et la neige profonde, le premier voyage est vraiment une corvée. Le deuxième est plus facile, la piste est maintenant presque praticable. Pour monter le cométique cependant les chiens et l’homme devront mettre toute leur énergie, et c’est très épuisé qu’ils arriveront en haut.
En haut de la chute, on sent très bien que la rivière s’ouvrira bientôt en un lac. Encore un danger qu’il faudra bien comprendre. Les bords des lacs cachent les plus terribles pièges. Des sources et des petits ruisseaux empêchent souvent la glace d’être ferme. Cependant, la neige cache les zones chaudes, on ne voit rien, il faut deviner où est l’eau, parce que l’eau tue. Il sent que c’est très bientôt le but du voyage, les chiens ont la sagesse de se reposer pour être prêt, il doit en faire autant. Mais prêt à quoi? Non ne pas poser la question, il n’est pas sage avant l’effort de se fatiguer à poser des questions qui n’ont pas de réponse. Être prêt est le seul objectif à poursuivre.
Manger, se reposer, on ne peut rien faire d’autre. Il y a des arbres ici. Plutôt que de bâtir un iglou, il est plus simple de faire un abri de branches d’épinettes. Les chiens ont mangé et dorment déjà épuisés de l’effort. L’Inuk peut enfin se dévêtir et faire sécher ses vêtements. Dans son abri, la lampe fait une chaude lumière. On est bien, nu, assis sur un sac de fourrure, pour se découper et mâcher lentement des petits morceaux de viande bouillie, qu’il trempe dans la réserve d’huile. Ça ne sert à rien de penser à demain, ça ne sert à rien de penser. Il se laisse tomber dans le sac de fourrure, et le sommeil vient rapidement.
Commentaires
oui. Ces natures impressionnantes qui forcent la nécessité. Cette tension de la survie qui, paradoxalement vous libère du poids de la pensée, où la première victoire est de pouvoir mettre un pied devant l'autre. Ou de se reposer. Des fois, la vie vous offre ces banquises, moins friables qu'il n'y paraît, où l'on mesure ses forces.
Je connais cette impression ressentie au bord de la mer : la sensation d'être "arrivé", d'être à sa place, la rassurante émotion de pouvoir regarder à l'horizon.. et l'inquiétude en montage, se demander ce qu'il y a après le prochain virage, un peu plus haut, derrière la roche...
Plus que 2 ou 3 parties !!??? mais on vient de juste de partir....
Nziem--) t'inquiète, après la Lame de Ramah, il y a Mains de feu sur lequel je travaille et que je trouve bien meilleur ( enfin c'est un point de vue)
Anita--) C'est vrai que lorsqu'on s'enferme jusqu'à n'être confronté qu'à soi, les montagnes intérieurs semblent infranchissables, mais après avoir confronté à la réalité, les douces vallées de coeur deviennent joyeuses.
Que cette histoire est bien dite,finalement c'est agréable de la laisser cheminer en nous toute une semaine....
Ah oui colette, je suis d'accord.
L'eau tue. J'imagine. Ca doit être terrible.
"Ça ne sert à rien de penser à demain, ça ne sert à rien de penser."
S'il a la recette, je suis preneuse...
Anne--) C'est la philosophie, la recette du chasseur, que d'autre appelle la pensée zen. Se libérer l'esprit de tout ce qui placote inutilement dedans pour être prêt. On ne sait pas ce qui s'en vient alors ça ne sert à rien de faire des suppositions, l'important c'est d'avoir la tête libre pour bien faire le prochain geste.
TTo2--) le froid a ses rêgles. Au Brésil on ne marche pas dans l'herbe sans bottes trop de serpents. Au Nord, il ne faut pas se mouiller, ça gèle.
Colette--) Merci beaucoup