Comment voir les oiseaux

On peut regarder comme on lit un paysage ou on peut voir comme on entend le monde.

Pour entendre, il faut d'abord se taire. Pour voir, il faut d'abord cesser de regarder. Pour entendre, il faut faire se taire notre coeur et notre respiration, enfin à tout le moins diminuer le vacarme que le coeur fait, attendre que la paix s'installe et se rendre disponible. Ensuite, il est important de cesser de s'importer.

Quand je m'assois quelque part et que je tente de faire la paix en moi, rapidement, c'est la bavarde qui se met en route. La bavarde, la machine à justifier et critiquer qu'on a dans la tête. Ça commence généralement par -- « bouge-toi un peu, avec tout le travail que tu as en retard, pas question que tu restes assis là! » Je veux ensuite lui expliquer que c'est aussi du travail, que j'ai besoin de me détendre et de... Mais ce n'est pas possible. Il est hors de question de discuter avec la Bavarde, c'est son métier de sortir des arguments et elle est la spécialiste de la mauvaise foi et de la culpabilisation. Il faut dire NON! très fort qu'elle boude un bon coup et nous foute la paix.

Après, il y a plusieurs muscles et articulations qui profitent du fait qu'il y a moins de bruits, pour se faire entendre. Les fesses assises sur la racine, et puis les genoux toujours et toujours à brailler, il faut faire comme avec la Bavarde, se refuser le droit de parole pour cesser de s'importer et que la distance entre soi et le monde s'efface. À ce moment-là, ne faisant plus de bruit, je commence à entendre et vibrer avec le Chant de la Beauté du Monde. À ce moment-là je sais ce que le mot joie veut dire.

Pour voir, le processus est pratiquement le même. Il faut d'abord cesser de regarder, cesser de lire le monde pour le comprendre. La Bavarde est là pour expliquer ce qui se passe et quand on regarde on ne voit que ce qui est logique ou évident avec son propre esprit. Il est difficile en regardant de se laisser surprendre par le Monde qui nous entoure, parce que logiquement... Mais le Monde est... il n'est pas logique, il ne dépend pas des mots.

Si plutôt que d'essayer de regarder un oiseau, de comprendre son plumage, de savoir son espèce, de lui donner un nom... on s'imprègne de la totalité du paysage... si plutôt que de regarder en s'occupant d'un angle de deux ou trois degrés on voit 150 degrés, bien sûr le paysage est plus flou, et on a peu de chance de savoir si c'est un bruant à gorge blanche ou un bruant à couronne blanche, mais on va percevoir qu'il parle à sa femelle située dans l'autre arbre, qu'il surveille ce qui se glisse dans l'herbe, alors qu'un lièvre détale vers son terrier et qu'une perdrix tente de regrouper tous ces petits.

Avec des jumelles et de la patience, je peux vous dire qu'un oiseau ressemble beaucoup à celui qui est dans mon livre. Mais je ne saurai rien de sa vie, de ses relations avec le Monde.

Trop souvent vous regardez vos semblables en trouvant incohérentes leurs actions. Il faut les voir dans leur cadre pour sentir ce qui se passe autour d'eux. C'est une question d'échelle.