Moukmouk de Pohenegamouk

Kiounik vit dans une petite maison où le ruisseau de la vallée des glaçons se jette dans la rivière. L’eau y est particulièrement fraîche et bonne. C’est à une grosse demi-heure à vélo de la ouache… enfin je trouve qu’avec le temps la demi-heure s’allonge de plus en plus, mais c’est parce que ça fait très très longtemps que je vais la voir.

Comme son nom l’indique, Kiounik est une loutre. Ou plutôt elle peut être une femme, une loutre ou ne pas être là, on ne sait jamais. Même si cela fait très longtemps que je vais la voir, elle est toujours jeune et jolie, surtout quand elle est en loutre.

En femme, je la vois comme Rommy Schneider. Tant de vulnérabilité, et pourtant toute la force du monde dans ce visage. L"intensité et la puissance enveloppées de douceur, peut-être que si c'était vous qui la rencontriez elle aurait un autre visage, je ne sais pas.

Parfois je pense qu’elle est plutôt l’esprit de la loutre, ce qui fait qu’une loutre est une loutre, mais c’est un sujet dont on ne peut pas parler. Elle rit un peu, mais ne répond pas, c’est son mystère. Moi qui aime fouiller partout j’aimerais bien connaître le cœur du mystère, mais chaque fois que je m’en approche, je comprends que j’en suis plus loin.

C’est parce que je suis un garçon ours que je veux tout comprendre et savoir. Chez Kiounik, on ne prend pas, on est avec, on partage. Les mots n’expliquent pas, ils parfument l’air du temps. Alors on échange sur le bonheur de vivre, sur le quotidien, l’art de préparer la truite, les herbes pour un gruit. On évite les grands mots, parce que c’est ce qui se passe entre les mots qui compte.

Kiounik reste une loutre, la plus puissante des mustélidés, efficace, rapide et meurtrière. Sa colère est terrible et heureusement avec moi, elle choisit de disparaître plutôt que de m’attaquer. Il arrive que j’accroche mes grosses pattes qui sont toutes les deux très gauches (le reste de l’ours aussi d’ailleurs) et que je brise un truc. Je vois alors ses yeux s’allumer, elle change de couleur et pouf! Disparaît, je reste seul avec mes excuses aussi idiotes qu’inutiles.

Des hommes sont allés dans le coin pour couper la forêt. Mais il y a eu beaucoup d’accidents et de bris d’équipements. Ils ont dit : malchance… moi je sais que Kiounik protège la forêt. Elle ne sera pas facile à abattre cette forêt.

J’ai une osé lui demander ce qu’elle pensait des humains. Elle m’a répondu : pourquoi je me soucierais d’une espèce qui a choisi de s’auto-détruire?