La princesse bergère
vendredi 6 décembre 2019, 02:37 Lien permanent
J’ai entendu hier répéter une fois de plus le stupide discours néo-darwiniste. Vous savez l’impitoyable loi du plus fort, le droit du prédateur d’écraser le plus faible et autres justifications de l’esclavagisme, qui serait des lois d’une Nature qui aime les puissants au point de s’autodétruire. Voici une petite histoire qui pourrait sembler une exception mais qui est la réelle norme dans la nature, la recherche de la continuité par l’équilibre.
Blandine de Kuujjuaq survole son territoire, sans aucun bruit. Ses plumes sont conçues pour ce vol silencieux. C’est l’été, la plaine marécageuse est parsemée de nids d’oies des neiges. On dirait des moutons qui broutent un pré vert et brun. L’oie, si puissante en vol, est très vulnérable au sol. Son dandinement est très lent et tous les prédateurs sont plus rapides. Elle a besoin d’une longue distance pour prendre son envol. Aussi la seule stratégie de défense du nid qui lui reste est de s’écraser dessus sans bouger jusqu’à ce que le prédateur soit très proche, et alors crier après pour lui faire peur et lui donner des coups de bec. Son dévouement pour sa nichée est sans faille. On a souvent vu une oie l’aile arrachée morte au bout de son sang, mais toujours couvant comme si sa dernière chaleur était celle qui fait éclore les œufs.
Sans Blandine, depuis longtemps il n’y aurait plus d’oies. J’ai vu sur l’Ile Akyat, une colonie de 750 nids d’oies répartis dans un cercle d’un kilomètre de diamètre dont le centre était le nid de la princesse Blandine. Le succès de reproduction a dépassé les 90%. L’année suivante, le même endroit, mais pas de nid de harfang, moins de 25% des nids ont survécu jusqu’à l’éclosion. Les renards, les goélands et les corbeaux ont saccagé la colonie.
J’ai déjà vu son altesse attaquer un renard. Elle prend de l’altitude et pique pour prendre de la vitesse, à moins de quatre mètres, elle pousse son cri d’alerte, le renard bondit de côté, un mouvement d’aile et le cou se trouve sous les serres. Les longues griffes déchirent la peau et sectionnent la colonne cervicale entre deux vertèbres. Un soubresaut nerveux, la mort est immédiate. Elle a donné deux ou trois coups de bec dans la viande pour bien marquer sa victoire et imposer sa terreur aux autres. Son estomac est mal équipé pour digérer ce genre de nourriture.
Les scientifiques veulent savoir pourquoi les harfangs protègent des nids d’oies. Fertilisation des sols, espace assurant la sécurité du nid du harfang… Mais, pourquoi c’est pourquoi? Blandine est une mère, elle aime les enfants oiseaux, n’est-ce pas suffisant? Prédatrice, elle est au sommet d’une pyramide dont elle doit assurer l’équilibre, sinon elle sera la première victime.
Ne vous croyez pas à l’abri. Si vous voulez attaquer un nid d’oies sous la protection de Blandine, il y a de fortes chances que vous deveniez grièvement blessé ou aveugle. Pour une grosse bête comme un humain, elle simulera une attaque pour vous forcer à vous sauver. Elle prendra de l’altitude pour vous foncer directement à la tête en poussant son cri de terreur. C’est maintenant le temps de partir, la seconde fois vous serez blessés.
Blandine a plusieurs cris. La plus part sont conçus pour faire peur. Les autres, on est rarement assez près pour les entendre. C’est bien dommage, j’aimerais bien qu’elle me dise des petits mots d’amour.