Poème du dimanche: Nungutut

Je ne sais pas si c’est un poème. De fait le mot Nungutut est un poème, un terrible poème.

Est-il possible de traduire? Comment dire l’univers de l’autre? Comment faire le lien entre deux mondes si différents? qui suis-je pour oser tenter un pont?

Nungutut, je viens d’apprendre un nouveau mot Inuktitut, et il me blesse aussi sûrement qu’une lance au cœur, aussi sûrement que si on me désignait coupable.

C’est un mot nouveau. Il a été prononcé pour la première fois par les gens de Salluit au Nunavik en ce terrible automne où la terre toujours gelée fond et disparaît sous les pas, l’eau allant rejoindre l’eau de la mer, de la mère.

Les mères phoques ont besoin de glace pour accoucher, sinon le petit se noie. Que se passera-t-il lorsqu’il n’y aura plus de glace?

Les Inuit sont le peuple de la survie. Ils traversent la terrible nuit d’hiver, ils glissent sous le vent du Nord qui ronge tout ce qui ose lui faire obstacle. Mangent-ils la glace de ce désert ? comment trouver de la chaleur? Même les arbres ne peuvent supporter de tels extrêmes.

Ils ont survécu parce qu’ils sont avec, ils sont parmi, oies parmi les oies, phoques parmi les phoques, truites parmi les truites, ni plus ni moins, liés à la vie parce qu’il n’y a qu’une vie, et qu’elle est la même pour tout ce monde.

Je suis d’un autre monde, arrogant de puissance, je contrôle l’atome, j’harnache les rivières, et je renonce à ma terre pour aller vers d’autres mondes. Parce qu’il y a d’autres mondes à exploiter, à développer, à conquérir, à dominer.

Pour le peuple Inuit, il n’y a pas de début et pas de fin, la glace est sans fin, on peut marcher sur la glace jusqu’à ce qu’elle nous accepte en elle.

Nungutut : c’est la fin d’une espèce, qui est un élément de la vie. Si un élément disparaît comment la vie pourra-t-elle continuer?

Nungutut : c’est la fin d’un monde. Et je voudrais que ce soit le mien.