Les changements
dimanche 7 janvier 2007, 17:20 General Lien permanent
Bien sûr il y aura des changements. Bismarck a raison, avoir peur ne sert pas à grand chose. Mais penser que cela ne changera pas est aussi dangereux que de penser que le changement est forcément bon ou mauvais, ce n’est pas une question de choix individuels ni de morale.
L’Europe et l’Amérique ont été dominées depuis 200 ans par l’idéologie du progrès. C’est l’idée que le changement est forcément bon. Il faut se lancer dans une course en avant, parce que les solutions sont techniques et que développant la science, tout serait forcément mieux. Cela n’empêche pas les prophètes de malheur de nous annoncer toutes les catastrophes imaginables. La seule façon de les éviter étant de prier dieu et de donner de l’argent à l’église.
En tentant d’expliquer combien il était difficile de prévoir les changements climatiques et leurs conséquences, je crains d’être tombé dans le second piège : faire peur. Peut-être que la peur est le commencement de la sagesse, mais si on en reste là, c’est le commencement de la folie. Alors je donne un exemple de changement.
Ma maman est née en 1908 dans la forêt. Des petites communautés de nomades tentaient de vivre comme depuis plus de 3000 ans, sans livres, sans écoles, sans routes, sans industries, sans chevaux (en forêt ils sont inutiles). Bien sûr le progrès était à la lisière de la forêt, et il a balayé son pays détruisant tout sur son passage. Il a aussi apporté, les livres et un mode de vie totalement différent. Il y avait un milliard six cents millions de personnes sur Terre.
Ma maman est morte en 2005, après avoir lu presque un livre par jour, avoir fait le tour du monde en avion, mis au monde plus de 1000 bébés comme sage-femme. Il y avait six milliards cinq cents millions de personnes sur Terre. Elle a connu le changement.
Sa principale force a été l’adaptation. Ne pas juger le changement comme bon ou dangereux, mais prévoir à court terme ( à long terme c’est impossible), et réagir à ce qui se passe.
Elle est née au moment où la mortalité infantile était à son maximum. La saleté des villes, et le manque de respect de la vie a fait que son premier combat fut de sauver les enfants. Et puis de donner à ces enfants une chance de survivre dans ce monde par l’éducation.
La faim est de tout temps et partout le mécanisme de contrôle des populations. Quand on étudie les grandes épidémies, il y a généralement un problème alimentaire qui les précède. Pour ma génération, le premier combat a été de nourrir tous les enfants que la génération précédente avait fait vivre. Pour réussir, on y a mis toutes les ressources énergétiques nécessaires, et on s’est aperçu que la nourriture était une arme beaucoup plus efficace que toutes les armées du monde.
Les combats de la génération de ma mère comme de la mienne sont tout à fait justifiables moralement, économiquement. Ne pas les avoir menés nous aurait condamné comme inhumains. Mais voilà, pour remplir cet objectif, nous avons saccagé les ressources de la terre. Nous constatons que nous ne pouvons pas continuer sans provoquer des catastrophes pires que tous les efforts que nous avons fait pour contrer les catastrophes précédentes.
Réduire la population de la Terre n’est certainement pas la solution. Ceux qui ont entre 10 et 25 ans ont maintenant la tâche de trouver comment nourrir tous ces gens sans détruire la planète. Les solutions sont nécessairement collectives, scientifiques et politiques.
Après-demain sera forcément différent de tout ce qu’on peut prévoir. Juger ne sert à rien. Avoir peur ne sert à rien. Il faut simplement prendre conscience de notre responsabilité d’humain et se mettre au travail. Échouer n’est pas envisageable.
Commentaires
ça fait du bien quand tu expliques...
Tout cela me parle énormément. J'y pense beaucoup. Et donner à nos enfants les outils d'adaptation, les pousser à penser, et à partager aussi.
Quand tu écris que la nourriture a été une arme beaucoup plus efficace que toutes les armées du monde, je ne suis pas sûre de suivre ta pensée et comprendre ce que tu as voulu dire par là.
Le plus difficile, c'est le choix des indicateurs. Qu'est-ce qu'une société en bonne santé? La propreté de nos maisons et de nos vêtements vaut-elle le dégueulassage systématique de nos rivières? On voit bien que la variable, dans les politiques, c'est de placer les pions commes accessoires ou principaux, comme problème vital ou comme dégât collatéral.
Pour nous, individus, c'est bien de défricher son pré carré, avec le maximum d'honêteté, et parfois refuser d'être la X ième goutte d'eau, parce qu'on ne sait pas à l'avance laquelle va faire déborder le vase. Je n'en finit pas d'essayer de peaufiner mon choix d'indicateur, et je me demande toujours lequel d'entre eux je devrais considérer comme pure connerie dans vingt ans. Mais on ne peut pas tous être des Sadhus qui s'empêchent de marcher de peur d'atteindre une fourmi. Un Sadhu n'aurait pas accompli ce qu'a fait ta mère.
Laquelle devait être une personne remarquable. Mettre des bébés au monde et lire des livres, voilà qui a dû remplir une vie...
"Née en 1908".
Ma grand-mère etait née en 1903, et mon grand-père en 1899. Ca faisait bizarre de les écouter des fois.
TTo2--) à cause de son départ, ma mère a du s'adapter un peu plus sans doute que tes grands parents, mais quand même dès qu'on parle à ceux qui ont longtemps vécu ils nous parlent du changement.
Anita--) Oui, on ne peut pas prédire, savoir ce qui sera, alors il faut compter sur nos valeurs de maintenant. Pour moi c'est l'Équilibre et la beauté du Monde. C'est ce que j'essaie de dire.
Otir--) Les USA ont détruit l'Afrique plus surement que n'importe quel armée, en faisant des prêts à long terme pour acheter des céréales. Les subventions agricoles tuent plus qu'elles nourissent. On n'en reparlera si tu veux.
Sido--) merci, merci. Bien content de te voir de retour.
Parfois il suffit de faire un petit pas...On vient d'acheter une maison, en repensant le chauffage ( qu'on utilise peut pour des raisons de latitudes, pas d'economie) pour qu'il soit moins cher, on a revendu la voiture bouffe petrole pour une moins gourmande qu'on utilise 10 fois moins, on se renseigne pour les panneaux solaires, etc...Petit a petit on avance, je ne suis pas sure que le progres soit si mauvais, il nous permet de nous adapter, encore et toujours. Pour l'instant chacune des mesures que nous avons prises pour faire attention est en fait devenue un confort et un plaisir, etonnament...Y compris l'abandon des sacs plastiques pour un joli sac en toile!
Si l'adaptation et le progres ca doit etre de soutenir la planete au lieu de la detruire, on va y arriver.Et si on peut le faire avec plaisir, c'est gagne!
J'ai pensé à toi en lisant ça : www.liberation.fr/actuali...
et aussi ça (parce que ça fait comme un "écho à l'envers" de ton billet) : www.liberation.fr/actuali...
Merci !
Pour cette pertinence, pour cette lucidité intelligent. Il y avait des jours où je me demandais si mettre des enfants au monde avait un sens, maintenant je sais que je pourrais leur répondre que oui.
"Réduire la population de la Terre n’est certainement pas la solution."
Ben quand même, ce serait bien que la population se stabilise parce que si on continue une croissance pareille, "c'est certainement un problème".
"échouer n'est pas envisageable"... je crois que c'est à cela qu'il faut s'accrocher pour ne pas baisser les bras. J'ai quand même l'impression que les mentalités sont en train d'évoluer, qu'on prend de plus en plus conscience de la gravité de la situation. Quant aux solutions, le mieux qu'on puisse faire c'est d'essayer de voir leurs effets à long terme pour ne pas faire les mauvais choix peut-être. En même temps, difficile d'apprendre sans commettre d'erreurs..