Médiocrité, excellence et société
mercredi 18 avril 2007, 16:58 General Lien permanent
Médiocre : dont la valeur est inférieure à la moyenne. Dans un commentaire du billet précédent, Andrem nous invite à réfléchir sur l’idée « d’une société de médiocres. » Ma contribution…
À première vue, il serait tentant de regarder cette idée simplement du point de vue du dictionnaire. La société c’est la moyenne, la médiocrité c’est ce qui est en dessous, et l’excellence c’est ce qui est au dessus. L’idée d’une société de médiocres est illogique et on passe à une autre question.
Je ne pense pas que le nœud de la contradiction soit sur ce point, mais plutôt dans le concept d’excellence. Ainsi, il y aurait dans notre société des personnes d’exception, avec des qualités particulières : « les excellents » qui dirigent les organisations, et décident au nom de tous, ce qui est le bien et le mal pour la société.
Les excellents sont à la tête des compagnies et des corporations, et voient au bien-être de tous selon les lois de l’Économie, qui comme on le sait tous, a remplacé dieu et la religion. D’ailleurs, si ça va mal, c’est que les dirigeants politiques ne sont pas choisis par les excellents mais par les médiocres, et ne respectent donc pas les lois de la religion économique. Si l’excellent commet le péché de non-profitabilité maximum, il sera condamné à retourner au rang des médiocres.
En France, les excellents naissent dans les grandes écoles, ici dans les écoles de droit ou de génie. On me dit qu’en France le problème, c’est qu’il est trop difficile d’avoir accès à l’excellence, il n’y a pas de « mobilité sociale ». Ici, il faut sûrement être fils de riche et avoir une détermination sans limite, mais clairement vouloir ne suffit pas.
Je pense que dans les sociétés moins complexes, la valeur individuelle pouvait avoir de l’importance, et on pouvait choisir un chef à partir de sa valeur morale, et de la justesse de son point de vue. À regarder la puissance des grandes corporations qui contrôlent cette petite planète, je me demande comment un individu pourrait prétendre en diriger une. Les grandes corporations ont besoin de porte-parole qui dira ce que la corporation veut et non l’inverse.
La pop-star, la vedette de la télé, le dirigeant de corporation, tous se comportent en fonction de leurs rôles plutôt qu’à partir de ce qu’ils pensent. C’est d’ailleurs cela qui rend la télé-réalité possible. On peut prendre n’importe qui et en faire une vedette.
Je trouve que tout cela ressemble beaucoup au monde féodal où des Comtes, des Ducs et des Barons, imposaient des guerres au peuple pour leur profit personnel. Les corporations se font des guerres et les consommateurs comme les travailleurs en feront les frais. Et comme noblesse oblige, on imposera au petit peuple, à la canaille, à la racaille, une morale qu’on n’a pas à suivre ( Paul Wolfowitz par exemple).
Une société de médiocres? J’appellerais cela plutôt la démocratie. Cela ne m’empêchera pas de tenter de m’améliorer, mais pas selon les critères de la religion économique.
Commentaires
A partir du moment où l'on s'estime soi-même et ses pairs comme êtres d'excellence, c'est déjà mal barré ;-)) Nous sommes tous des mammifères plus ou moins "civilisés", et rares sont les Anish-na-bé. Quand je vois la qualité de certains élus ou en passe de l'être, je me demande si le vernis est suffisamment épais pour contenir leur animalité. Cependant, leur discours sécuritaire et populiste trouve un écho dans bien des désarrois et il est à noter que l'on trouve de plus en plus de ces guignols dans nos pays riches.
Je trouve que nous sommes en pleine régression et que nous basculons vers quelque chose de très moche. La violence, la peur, le rejet, font partie intégrante de nos sociétés occidentales. Le niveau de conscience et de civisme, de solidarité se réduit de plus en plus à une peau de chagrin. Oui, je crois que l'on glisse peu à peu dans la médiocrité et j'ai l'impression que quelque part, c'est voulu. Il n'y a qu'à allumer la télé ou regarder les affiches publicitaires pour en être convaincu. Du pain et des jeux, on a déjà vu ça, non ?
Comme tu le dis, nous en revenons à un monde féodal, où une poignée de "seigneurs" décident pour les autres, majoritaires et muselés, voire lobotomisés, et les envoie éventuellement au casse-pipe pour protéger leur boutique. Finalement, quand je vois la révolte des jeunes des cités, je peux comprendre. Le problème c'est qu'ils s'en prennent à leurs voisins qui sont dans la même galère.
Bien sûr la démocratie ! Encore faudrait-il que nous ayons tous les atouts en main pour pouvoir décider de notre sort, en toute connaissance de cause. Et ne pas se laisser hypnotiser par les charmeurs de serpents...
Il n'a pas d'excellent et chacun le sait (même les soi-disants excellent). On veut seulement le croire ou le faire croire. On est tous médiocres et excellents à la fois. On est tous bon ou méchant à la fois. Au moindre débat on s'emflamme même pour parler de l'amour. On ne se fait pas confiance à soi même, on ne fait pas confiance aux autres à cause de trois ou quatre individus plus violent. Les femmes d'aujourd'hui (grand-mère compris) ne ressemble en rien aux femmes d'avant, et ben pourquoi pas. Les hommes d'aujourd'hui ne ressemblent non plus au hommes d'avant. Je décale un peu le débat parce que je trouve que la vision bon d'un côté et mauvais de l'autre n'existe pas et donc ne se débat pas. Tout est dans l'équilibre. Un peu plus de confiance et d'espoir. Acceptons les autres (tant que c'est acceptable, on sait ce qui fait mal). Je sais c'est dégoulinant ce que je viens de dire mais je ne vois pas quoi dire d'autre.
Je pense que la définition de l'élite/l'excellence n'est pas la même pour tous les intervenants. Il y a :
- l'élite "réelle" : les hommes et femmes grands par leur intelligence, leur courage, leur inventivité, leur talent
- l'élite "auto-proclamée" : les hommes et femmes puissants (pouvoir politique, économique, médiatique, ...), qui pensent que leur puissance vient de leur appartenance à l'élite "réelle"
Les deux groupes ne sont pas totalement distincts : il y a des gens qui ont le pouvoir grâce à leur compétence, mais pour d'autres c'est uniquement grâce à leur héritage (familial ou de classe) ou par chance (ex: télé-réalité), voire par leurs bassesses (ex: torpillage des concurrents).
Le rejet de la "fausse élite" pousse souvent les gens à oublier l'élite "réelle", et/ou à nier l'existence de l'intersection des deux groupes (ayant le pouvoir et le méritant).
Poussé à l'extrême, cela a des effets assez désolants :
- rejet des valeurs liée à l'élite "réelle" : connaissance, qualité du travail, ...
- glorification des inverses (moindre effort, inculture, ...)
- rejet de tous les pouvoirs (forcément injustes) et donc de toutes les règles sociales
D'où une "société de médiocres"
Il faut combattre la fausse élite, mais en continuant de valoriser l'élite "réelle". Sans la banaliser : tout le monde a des points forts et des points faibles, tout le monde est médiocre dans certains domaines (en général, ceux qui ne nous intéressent pas), mais tout le monde n'a pas un domaine d'excellence. En notation sur 20, tout le monde a un domaine où il peut atteindre le 19 (point fort), mais il est rare de pouvoir atteindre le 20 (excellence) parce que l'effort et la volonté ne suffise pas. C'est pour cela qu'il faut valoriser les vraies élites, combattre les fausses, et admettre sereinement que 95% des gens n'ont pas de domaine d'excellence, et que cela n'empêche pas d'être heureux et respectable.
Ce qui rejoint mon commentaire d'hier : il est nécessaire que le modèle social fixe des cibles atteignables (19 sur 20). Ce qui ne signifie pas la médiocrité.
En voilà des idées que je vais pouvoir glaner. Merci les gens. La récolte est bonne chez Moukmouk.
Du coup j'ai du travail en perspective. Affreuse perspective, pour un paresseux comme moi.
Je suis tout à fait d'accord avec Lune. Vivant à Malaga, ville native de Picasso, je peux vous dire qu'il y a définitivement des génies qui excellent dans leur domaine et qui le révolutionne. Par contre, là où j'ai plus de peine, c'est lorsque cette notion d'"excellence" entraine une notion de supériorité... je ne suis pas sûre que toucher à l'excellence dans un domaine fasse de ces hommes ou de ces femmes des êtres humains meilleurs, de meilleurs pères, mères, époux ou amis.