Reprise: la lune des belles fourrures

Zizule a fait un billet sur une entreprise qui fait du tannage, procédé industriel qui peut-être très polluant en plus d'être très mal-odorant. Ça m'a rappelé un billet, un souvenir d'enfance.

La pleine lune me plonge souvent dans un état trouble. Je me souviens d’un ami me montrant fièrement une peau de castor chassé à la lune des belles fourrures. Très difficile de réprimer le goût de caresser ces petits poils très denses très doux, le goût de mettre sa joue sur cette peau et de fermer les yeux pour rêver.

Jeune, j’allais souvent chez cette vieille dame qui mettait l’alun sur les peaux et les frappait de ses bâtons pour les mégir. Enfant je pouvais rester là des heures à suivre ces mouvements précis parfois lents parfois très rapides, une danse à la gloire de ce qu’est l’animal, de ce qu’il peut nous donner de plus tendre, sa peau, son identité. Je sais maintenant que c’est l’odeur très particulière qui m’attirait.

Une fois, c’était une immense peau d’un caribou, une bête énorme, qu’elle frappait avec plus d’attention que d’habitude. Elle voulait créer la plus grande pièce possible pour coudre sans doute un vêtement de cérémonie. Elle faisait de ces gestes une cérémonie, pour développer les outils de la cérémonie. J’essaie de me souvenir de ce qu’elle m’a vraiment appris. Il faut faire de chaque pas, de chaque geste une cérémonie qui célèbre la Vie. La vie en soi-même, qui est le lien qui nous unit à tout ce qui vit, et qui a une égale importance. Je ne peux pas encore vivre comme cette vieille femme. Ma vie est trop bousculée, je suis trop pressé, j’ai tant de choses à faire pour réussir à vivre dans mon monde moderne et développé. Je suis civilisé, et je prends conscience que cela me coupe de ce que je suis, simplement vivant parmi la vie qui m’entoure. Il me faut réapprendre ce qui important. Refaire la simple cérémonie de la vie.

J’étais timide devant les gestes, la danse de la vieille femme. Elle s’est arrêtée, m’a regardé et souri. Elle a retourné la peau du coté de la fourrure, et m’a dit : « viens, c’est une peau de la saison des belles fourrures ». Je me suis couché dessus et elle m’a enveloppé. Les six ans de ma vie sont disparus et j’ai su comment c’était dans le ventre de ma mère. Cette douceur, cette chaleur, ce glissement qui fait qu’on est sans poids, et pourtant la résistance tout autour de nous, c’est lourd, chaque geste est entravé. Et puis l’odeur, complexe, musquée, toujours changeante et pourtant facilement reconnaissable, l’odeur de la vie.

Cette lune, cette pleine lune, me fait désirer retourner à cette odeur. Je toucherai la peau douce, je sentirai le poids de la peau, je ferai la danse, la cérémonie de la vie, pour que l’odeur revienne m’apprendre l’essentiel.