Pleine lune de mai

La pleine lune monte dans le ciel. Les êtres du Second Monde nous voient et nous désirent. Comment faire taire la voix des sirènes. Ou comment accepter la voix sans se laisser étouffer par elles...

Il n'y a pas plus dangereux que la pleine lune de mai. Partout le jour, la fête de la vie éclate et chacune des cellules de nos corps, veulent danser elles aussi. C'est bien difficile de rester ensemble tant tout nous attire, tant on a le goût de s'étirer pour couvrir, toucher, sentir, se joindre jusqu'à se fondre à la vie. Alors quand le soir tombe, il n'est pas question de se replier. Il est temps de nier l'hiver et de vivre.

Les soirs de mai, il faut faire attention aux voix du second monde qui se font particulièrement actives et séductrices. Il est possible de résister parce que les être du second monde ne nous voit pas vraiment et leurs voix s'adresse à tout ce qui vit, tente de couper le lien entre la celui qui entend et ce qui vit. Mais les soirs de pleine lune, comme les soirs d'aurores boréales, le danger est infiniment plus grand parce qu'ils nous voient, et ils adaptent leur message à ce que nous sommes. Alors, je ne condamnerai pas ceux qui ne peuvent résister... c'est tellement difficile de résister.

Je sais quand les êtres du sencond monde, les Nulliarsaqs nous attaquent, il faut aller se réfugier dans les bras de notre amour et se fondre dans la joie de l'amour jusqu'à ce que nos souffles, nos voix, couvrent la voix des monstres de la nuit. Mais parfois notre amour est trop loin, notre amour n'est pas là, notre amour n'est pas, alors comment résister?

Je marchais sur la plage, tentant de faire taire les voix qui m'appelaient dans la forêt. Je savais qu'il n'y avait personne dans la forêt. Personne sinon moi-même et mon désir et qu'aller dans la forêt voulait dire me perdre dans mon désir jusqu'à n'être que désir, absent au vivant. Je marchais sur la plage et parfois je criais pour faire taire ces voix en moi. Alors elle m'a lancé un peu d'eau avec sa main, comme si une vague avait frappé la pierre qu'il y a là, et que la marée montante n'a pas encore couverte.

Et je l'ai entendu rire. Je me suis retourné et j'ai vu ce visage de jeune femme qui riait, ce visage que la pleine lune éclairait. Elle avait exactement le visage de l'amour tel que je le désire. Il n'y avait que sa tête et ses épaules hors de l'eau, magnifique... Son rire se referma en un sourire et puis en une espèce de O, alors qu'elle reculait dans l'eau peu profonde en se poussant de ses mains.

Tout ce qu'elle était ne faisait que dire vient, même je ne n'avais pas entendu un mot. J'ai quitté la grève pour entrer das l'eau, j'enlevais ma veste pour aller dans l'eau et la suivre. Et la lune qui m'avait perdu m'a sauvé. La jeune femme dans l'eau s'est retournée et j'ai vu! J'ai vu le reflet : Taliilajuuq! Takatuma! Celle des profondeurs. À mon cri, elle s'est retournée et ce qu'elle avait tenté de réaliser par le charme, elle voulait le réaliser par l'horreur, me fixer sur place pour qu'elle me prenne en laisse et m'entraine à l'eau. J'ai vu le vrai visage de la haine de la vie, éclairé par la lune. Elle voulait m'amener dans l'eau avec elle, m'aurait entrainé dans l'eau profonde et m'aurait embrassé pour me sucer la vie, me voler ma vie, me laisser vide de la vie dans le fond de l'eau.

Tapisserie de Kawtysee Kakee

Méfiez-vous de la lune de Mai. Et pendant qu'il fait encore jour, allez vous cacher dans les bras de votre amour, pour ne pas entendre les sirènes qui ne veulent que voler votre vie.