Mourir

Dans une des dernières conversations que j'ai eues avec lui, j'ai demandé à Ijjilik ce qu'il avait à me dire de la mort.

Nous étions sur une de ces petites montagnes du Nord que les glaciers ont écrasé jusqu'à leurs donner la forme douce d'un sein, et qui maintenant se gonflent comme si la Terre se préparait à une nouvelle naissance. La vallée voit le passage au printemps et à l'automne de l'immense troupeau de caribous. Mais au cœur de l'hiver, on ne voit que du blanc avec parfois un fantôme de neige que soulève le vent. Une chouette des neiges glisse sans bruit à faible hauteur, à la recherche du lemming courant sous la croute pour en faire son diner. Le soleil est trop bas pour vraiment éclairer, les ombres sont floues. Je me demande comment la vie peut continuer sans geler sous tout ce froid.

Je dis : « Maître Ijjilik, ce paysage me fait penser à la mort. Comment ne pas désirer la paix du froid, devant ce vide. La chouette elle peut s'élever au-dessus, mais nous qui marchons, nous n'avons que l'espoir du printemps. » Il me répond: « que sais-tu du printemps qui s'en vient peut-être ou peut-être pas ? Si tu ne trouves pas de sens dans ce que tu fais maintenant, pourquoi croire qu'il y en aura davantage s'il y a un printemps ? Vivre n'est pas un choix c'est une responsabilité envers ceux que tu aimes et qui te supportent. Si tu penses que personne ne t'aime, c'est ton regard qu'il faut changer, il est tellement tourné vers toi, que tu ne vois pas ceux qui t'entourent»

C'est vrai, je suis aimé. Et puis j'ai ma responsabilité de prédateur dans l'équilibre de la vie. Je n'ai aucune importance, mais si je disparais toute la vie sera un peu plus vulnérable. J'allais continuer, mais pour une rare fois, Ijjilik parle avant moi : « La mort est tellement certaine qu'il est ridicule de se poser des questions sur ce qu'elle est pour soi, et sur ce qu'il y a après. Ce n'est qu'une façon de nous faire perdre conscience de la beauté du présent. Oui j'aimerais le doux repos du froid. Je n'ai presque plus de dents et mes pattes me portent à peine, je ne peux plus courir. Mais les miens me demandent de continuer à planifier la chasse, alors je dois accepter cet honneur. Alors, je suis là, et j'attends la prochaine chasse, où qu'on me laisse m'endormir, à faire ma part pour la suite de la vie ».

La mort n'a aucune importance, seul compte le geste que je fais maintenant. Il me faudra encore beaucoup de temps pour accepter la sagesse du maître.