Mourir
lundi 1 mars 2010, 17:12 Conte Lien permanent
Dans une des dernières conversations que j'ai eues avec lui, j'ai demandé à Ijjilik ce qu'il avait à me dire de la mort.
Nous étions sur une de ces petites montagnes du Nord que les glaciers ont écrasé jusqu'à leurs donner la forme douce d'un sein, et qui maintenant se gonflent comme si la Terre se préparait à une nouvelle naissance. La vallée voit le passage au printemps et à l'automne de l'immense troupeau de caribous. Mais au cœur de l'hiver, on ne voit que du blanc avec parfois un fantôme de neige que soulève le vent. Une chouette des neiges glisse sans bruit à faible hauteur, à la recherche du lemming courant sous la croute pour en faire son diner. Le soleil est trop bas pour vraiment éclairer, les ombres sont floues. Je me demande comment la vie peut continuer sans geler sous tout ce froid.
Je dis : « Maître Ijjilik, ce paysage me fait penser à la mort. Comment ne pas désirer la paix du froid, devant ce vide. La chouette elle peut s'élever au-dessus, mais nous qui marchons, nous n'avons que l'espoir du printemps. » Il me répond: « que sais-tu du printemps qui s'en vient peut-être ou peut-être pas ? Si tu ne trouves pas de sens dans ce que tu fais maintenant, pourquoi croire qu'il y en aura davantage s'il y a un printemps ? Vivre n'est pas un choix c'est une responsabilité envers ceux que tu aimes et qui te supportent. Si tu penses que personne ne t'aime, c'est ton regard qu'il faut changer, il est tellement tourné vers toi, que tu ne vois pas ceux qui t'entourent»
C'est vrai, je suis aimé. Et puis j'ai ma responsabilité de prédateur dans l'équilibre de la vie. Je n'ai aucune importance, mais si je disparais toute la vie sera un peu plus vulnérable. J'allais continuer, mais pour une rare fois, Ijjilik parle avant moi : « La mort est tellement certaine qu'il est ridicule de se poser des questions sur ce qu'elle est pour soi, et sur ce qu'il y a après. Ce n'est qu'une façon de nous faire perdre conscience de la beauté du présent. Oui j'aimerais le doux repos du froid. Je n'ai presque plus de dents et mes pattes me portent à peine, je ne peux plus courir. Mais les miens me demandent de continuer à planifier la chasse, alors je dois accepter cet honneur. Alors, je suis là, et j'attends la prochaine chasse, où qu'on me laisse m'endormir, à faire ma part pour la suite de la vie ».
La mort n'a aucune importance, seul compte le geste que je fais maintenant. Il me faudra encore beaucoup de temps pour accepter la sagesse du maître.
Commentaires
Des contes, des contes, encore des contes. Moi je trouve que tu devrais passer tes journées à être payé pour aller écouter les loups, danser et écrire tes beaux contes que nous lisons (enfin je parle pour moi) avec bonheur. Ici et maintenant.
Je suis parfaitement d'accord avec toi. Malheureusement...
Merci, c'est magnifique, j'en ai les larmes aux yeux car ce conte me rappel le discours que j'ai entendu (celui fait par le prêtre lors de la cérémonie d'enterrement de mon amie S.)
Il montre que c'est le moment présent qui est important.
Vraiment...ton blog c'est comme un collier...des perles assemblées, des couleurs chaudes et vibrantes, un tour du cou qui se pose sur le coeur...merci.
la mort... on l'a craint tellement, on se pose tellement de questions sur elle... qu'on oublie de vivre... déjà mort au final !
Merci
Oui, inéluctable qu'elle est, autant se soucier de choses dont on peut profiter, comme une surprise constamment renouvelée !
Je pense que mon précédent commentaire n'a pas fonctionné,
Ton billet m'a donné les larmes aux yeux car je retrouve un peu le discours que j'ai entendu (celui fait par le prêtre lors de l'enterrement de mon amie S.), il faut vivre le moment présent, mais la peur de la mort est souvent là.
Troisième tentative pour laisser mon commentaire.
Ton billet me donne les larmes aux yeux, il ressemble un peu à un discours que j'ai récemment entendu (celui fait par le prêtre lors de l'enterrement de mon amie S.) il faut vivre le moment présent c'est important, mais moi même j'ai souvent du mal....
Luna--) merci de ta patience, on finira bien par éduquer ce crétin de logiciel qui te confond avec Nina, un troll de première. Nous avons tout à fait le droit de rêver, il faut juste ne pas confondre le rêve et la réalité.
Anne--) le monde est tellement beau quand on prend le temps de le voir plutôt que de regarder nos désirs.
Erika+ Paola--) merci
C'est bien plus qu'un conte...
Une belle chose sage?
Louve--) merci, mais ce que je sais de la vie et de la mort, c'est beaucoup ce vieux loup qui me l'a appris.