L'ARC (première partie)

Un texte en plusieurs parties. Chasser à l'arc n'a rien à voir avec le fusil. Je vais tenter d'expliquer.

Le jeune chasseur, très fier, me remet son arc. Il a ramené un immense orignal, il ne chassera pas avant plusieurs semaines. En quelques mots, il m'explique comment passer la corde dans le système de poulies pour tendre l'arc.

Rien à voir avec ce que je connaissais des arcs faits pour le tir à la cible. Ce n'est pas un jouet, mais une arme. Acier et carbone, pour le corps, une fibre synthétique exotique pour la corde, l'ensemble reste léger, mais on sent une grande résistance malgré les poulies qui triplent la force de l'archer. L'énergie de la flèche doit être considérable. J'ai peur d'autant de puissance. Je voudrais prendre le temps de l'amadouer, de m'en faire une amie, mais l'arme reste une arme, force brute, mortelle, qui ne se laisse pas apprivoiser. C'est fait pour tuer, et la mort n'est jamais jolie, elle est simplement parfois nécessaire. Il faut alors la force pour qu'elle soit rapide et la moins douloureuse possible.

Les flèches aussi sont très différentes de celles que j'ai déjà utilisées. Longues et surtout lourdes, une âme d'acier entouré de plastique, et pendant que je les inspecte étonné, il me dit de ne pas prendre pour cible des arbres des bois mous comme des sapins ou des épinettes, les flèches pénètrent si profondément qu'il faut souvent couper l'arbre pour les retirer. Dans le carquois, il y a aussi quelques flèches d'aluminium, encore plus longues et très légères, capables de voler très loin, parfaites pour la chasse aux canards en vol. Je lui dis tout de go, que je ne me sens pas l'habileté nécessaire à un tel tir et qu'il peut reprendre ces flèches-là, mais il refuse. Ça peut toujours servir.

À sa demande, j'encoche une flèche et je fais mine de viser la porte de la vieille remise un peu plus loin. Il y a déjà plusieurs marques de flèche dans ce bois. Je remarque alors le complexe système de visée qui comporte plusieurs vis pour l'ajustement et un petit bouton qu'on sent sous le petit doigt. J'appuie, et je vois apparaître un point rouge sur la porte. Un pointeur laser, je n'avais jamais imaginé qu'on ait pu en concevoir pour un arc, mais pourquoi pas. Quand on utilise ce genre d'arme, ce n'est pas pour savoir si on tire aussi bien ou mieux qu'un autre archer, mais pour ramener de la nourriture à la maison. C'est l'efficacité qui compte. Pour que le pointeur soit vraiment utile, il faudrait que je l'ajuste à ma force, mes réflexes et ma façon d'utiliser l'arc. Je n'aurai pas probablement pas le temps d'y mettre toutes les heures pour m'adapter alors aussi bien ne pas y toucher et me contenter d'utiliser la hausse et la mire.

-Tire ! Je laisse agir les réflexes . Pleine extension, la flèche part à la recherche du point rouge. Le bruit est très différent. L'arc ne chante pas, il gronde et durant quelques dixièmes de secondes, il reste une forte vibration qui tend à engourdir la main. Et puis la flèche fend l'air avec un sifflement très aigu. Presque tout de suite le choc intense contre la porte, la vitesse est prodigieuse, la planche a cassé sous l'impact.

J'enlève la tension et je remets l'arc dans son étui. Je voudrais d'abord sourire au jeune homme et le remercier, mais j'ai encore peur de l'arc. C'est comme un cougar, invisible et silencieux, mais mortel.

(à suivre)