Souvenir de mer

Ça vous tente une ballade en voilier?

On est parti franchement en retard d’Anticosti vers Sept-iles mais il fallait attendre la marée. Dans cet immense golf qui est vraiment une mer, la marée est une vague qui arrive surtout de l’Atlantique et fait un courant avec lequel il faut compter. Et puis c’est juin, avec ces nuits où il ne fait pas vraiment noir et ces longues périodes de calme. 130 kilomètres en voilier quand il n’y a que très peu de vent, ça peut être long ou doux avec du temps pour profiter de la beauté du monde.

 

Je prends le quart de nuit. J’aime quand tout le monde dort, qu’il n’y a pas d’autre travail que de surveiller l’immensité et cherchant une baleine, un banc de capelans ou de maquereaux. Les voiles ont peines à tenir gonflées mais on avance quand même. C’est la mer qui avance et nous entraîne.

 

Bon, il y a quand même la poubelle qui pue sérieusement. Solution habituelle quand il n’y a pas tempête, je l’attache au tableau arrière. Je m’assois confortablement et je ferme un œil. Je suis vite réveillé par une féroce discussion. À deux mètres de moi, un énorme corbeau d’un bord et un goéland marin (goéland à manteau noir) de l’autre argumente à qui aurait le droit de se servir dans la poubelle. Ni un ni l’autre n’ose y aller le premier parce que c’est certain l’autre le délogera à grands coups de bec et ça fait mal. Il faut en même temps surveiller le dormeur qui pourrait être malveillant.

 

Comme vociférateur le goéland a le net avantage. Ses discours sont terriblement menaçant, mais l’énorme bec du corbeau ne laisse aucun doute sur ses intentions. Je n’ose bouger tant le spectacle m’amuse. Mais hors de question de les laisser percer le sac, je ne jette pas mes poubelles à la mer. Et puis faudra bien que je me lève pour vérifier si tout est en ordre avant que la Soleil perce l’horizon et m’empêche de voir quoi que ce soit.

 

Je suis sauvé par le souffle d’une baleine qui respire à moins de cinquante de mètres du bateau. Dans ce calme ça fait le bruit du coup de fusil. Les deux oiseaux s’envolent… Encore une fois, voilà pourquoi j’aime les quarts de nuit.