La ouache de Moukmouk

Il y passait plusieurs mois par an, de la fin de l’hiver aux premières neiges de novembre. C’était comme on dit au Québec, une maison « trois saisons ». Trop isolée pour que la neige soit déblayée régulièrement l’hiver et pas assez pour affronter le froid terrible qui peut s’abattre sur cette région pendant plusieurs mois.

 

Quand il était encore suffisamment en forme pour y aller seul, il avait un long voyage à faire car il avait rendu son permis de conduire après une première alerte cardiaque. Il devait prendre un bus de Montréal à Québec, puis un autre jusqu’à Rivière du Loup où le fils de madame Jacqueline, sa femme de ménage, venait le chercher en voiture pour parcourir à travers la forêt, les soixante kilomètres restant pour arriver à destination.

 

A l’entrée de Saint-Eleuthère, on tourne à gauche pour prendre le chemin de la Tête du Lac. Il est bordé de résidences secondaires plus ou moins imposantes, parfois avec dépendances, garages, hangar à bateaux et embarcadère privé, parfois plus modestes. Néanmoins, elles ont toutes un point commun : elles s’offrent largement à la vue du visiteur avec leur façade pimpante, leur jardin bien entretenu où pas un brin d’herbe ne dépasse, orné de massifs de fleurs et parfois d’animaux en plastique : biche, écureuil, lapin…

 

Toutes… sauf celle de notre ours, dissimulée derrière un rideau d’arbres, tellement peu visible que j’en ai souvent raté l’entrée en voiture ou même à pied. Il m’a dit un jour : « Moi, je sais planter les arbres mais pas les petites fleurs ». C’est donc une bâtisse en bois, peinte en blanc, de plain-pied, avec son garage attenant à l’habitation principale. Au fond, sur la droite, on aperçoit un petit hangar à bateaux dont la porte qui a beaucoup vécu est décorée d’un dessin au pochoir : Socrate le chien, disparu depuis, y admire un papillon. Moukmouk pratiquait la voile sur deux dériveurs : un Hobie Cat et un 470, Quat’sept disent les voileux. Comme j’aurais aimé naviguer avec lui sur le lac ! On aurait formé un sacré équipage !

 

La porte d’entrée donne directement sur la pièce à vivre, très vaste et lumineuse, avec la cuisine à gauche, le salon à droite. Au fond, les rayonnages d’une bibliothèque à côté d’une cheminée en pierre devant laquelle nous avons passé bien des soirées. Au milieu de la pièce, un fauteuil à roulette devant le vieil ordinateur sur lequel il se connectait à Twitter. L’ameublement est vieillot mais confortable Il voulait avant tout que ses petits-enfants se sentent bien chez lui et puissent s’amuser sans crainte de casser ou d’abimer quelque chose. Sa seule concession à la modernité était une plaque de cuisson à induction pour laquelle, il avouait être « tombé en amour » car il adorait faire la cuisine.

 

Mais ce qui marque le plus dès qu’on franchit le seuil de la maison, c’est, juste en face, la grande baie vitrée avec sa vue magnifique sur le lac. 

 

C’est dans cette maison, sa ouache comme il l’appelait, qu’il était le plus heureux. Il y a passé avec moi son dernier séjour en automne 2022.

 

Mouette Moqueuse