L'écriture par surprise
lundi 18 février 2008, 00:05 General Lien permanent
Ceux qui ont à écrire dans leurs tâches le savent, se mettre à la table de travail est le moment le plus douloureux de la vie ( de la semaine? De la journée? Mais douloureux certainement.) La recherche que nous avons faite est par définition pourrie, on n'a rien à dire et même le plancher est tellement sale que c'est impossible de travailler.
Il y a peut-être des gens qui réussissent facilement à faire sortir sur une feuille de papier ces foutus mots, mais je n'en connais pas. N'importe quoi plutôt qu'écrire devient la priorité absolue. J'ai même essayé la méthode d'un écrivain très prolifique que je connais, mais non, boire un demi-litre de vodka fait jaillir de moi autre chose que des mots. Alors il arrive que je doive me prendre par surprise...
Par exemple, j'ai 3 minutes de radio à écrire pour présenter le Stabat Mater de Palestrina. J'en suis à chercher avec une loupe, les taches sur le plancher qui me permettraient de justifier que je fasse autre chose, mais là... je dois. Je dois peut-être mais... tiens ça fait longtemps que je n'ai pas fait un courriel à Meerkat, franchement presque 3 semaines, il serait temps...
Kwe Meerkat,
Si tu savais, je suis pris depuis presque deux jours dans les affres de la rédaction. 3 misérables petites minutes sur l'époque de Palestrina, et merde rien, je suis totalement incapable d'écrire quoi que ce soit. Qu'est-ce que tu dis? Je te néglige? Oui,oui c'est vrai, et je n'ai même pas la stupide excuse qu'il faut que je rédige, puisque je ne rédige pas.
Pourtant ce Stabat Mater est si important dans l'évolution de la musique. C'est 1590, Jean Pierre-louis de la petite ville de Palestrina est en pleine gloire, Maitre de chapelle à Saint-Pierre, ce sera le dimanche des Rameaux et le pape Grégoire XIV présidera lui-même ce spectacle, un des plus importants de Rome de cette époque.
Frapper très fort? Palestrina n'en est plus là. Il a fait des choeurs à 48 voix, il est reconnu comme le plus grand technicien de la polyphonie, et il n'a même plus besoin de se faire des sous, son mariage lui a apporté plus d'argent que tous les papes réunis. Mais c'est une occasion unique de marquer le coup, d'inscrire son nom dans l'Histoire.
La polyphonie du Moyen-age est toute construite sur des empilades des tierces et de sixtes avec des quartes pour changer de mode. Pas de quintes, dans les intervalles pythagoriciens, ça sonne trop faux.
Tous ce passe dans le Crux Fidélis. Après une entrée assez ordinaire pour l'époque, avec des enchainements contrapuntiques qui se succèdent aussi bien verticalement ( dans l'espace) qu'horizontalement ( la mélodie, donc dans le temps) les seize premiers accords, du Crux Fidelis, posent un problème insoluble pour l'époque: lu comme c'est écrit c'est totalement faux.
Pourtant si on refuse Pythagore et ses mathématiques, si on accepte de corriger d'un coma vers le haut les notes inférieures de la tierce majeure, et d'un coma vers le bas la note supérieure des tierces mineures, voilà que la musique devient possible.
Je prétends que Montéverdi, alors plus connu comme chanteur et violoniste que comme compositeur, était là. Peut-être pas dans le choeur, mais certainement dans la basilique de Saint-Pierre, et que ce fut son chemin de Damas. L'évidence de l'échec de la conception Pythagoricienne de la musique s'étale, éclate. Le Monde vient de changer.
Oui, il y a vingt-ans entre le Crux Fidélis et les Vêpres de la Sainte Vierge où Monteverdi exposera en musique la théorie du clavier bien-tempérée, mais ce n'est qu'un petit vingt ans de travail sur le coup de génie de Palestrina.
Bien sûr cette thèse est tout à fait contestable. L'intervalle Pythagoricien éclate partout à cette époque, et il est même possible de dire que c'est le pouvoir de Rome qui éclate plus que l'intervalle, c'est l'idée qu'hors de la vérité parfaite du Maître, mais il est possible de construire un monde si on accepte notre propre imperfection.
Tu vois Meerkat c'est un truc du genre que je veux écrire mais j'en suis totalement incapable.
Commentaires
bravo, pas d'autre mot, c'est exactement ça l'écriture par surprise.
combien de fois me ai-je indéfiniment tourné autour du pot de tel ou tel sujet (et encore... de mon côté ce ne sont que des billets de blog) sans parvenir à le mettre en forme, me disant que finalement ça ferait trop ceci, pas assez cela, et que si c'était comme ça ça n'en vaudrait pas la peine... et il suffit de changer d'air = voir la chose sous un autre angle, la raconter à *quelqu'un en particulier*, une lettre ou un courriel par exemple, pour que ça sorte naturellement.
je n'ose même pas me rappeler les heures entières passées à pondre des dissertations sur commande au cours de mes études - 16 pages que j'arrivais à écrire en 5 heures de réflexion. je ne présumerai en rien de leur qualité mais quand même, une telle quantité j'en serais bien incapable maintenant.
Ton écriture par surprise me fait l'effet d'une écriture plaisir, dans la douceur de la relation et du lien. L'autre est une horrible injonction.Tu dois rédiger. Tu as peut être un fond rebelle qui proteste et refuse les ordres .... Où crois -tu que les conteurs tirent leur inspiration ou peut être plutôt leur énergie ? Il m'a toujours semblé que c'était dans les yeux qui pétillent de leurs auditeurs, non ?
Moukmouk, écris moi tous les jours !! Comme cela, tes articles se feront tout seuls, sans même que tu t'en aperçoives. Parce que là, franchement, tu me donnes envie de m'intéresser au Stabat Mater de Palestrina et à la polyphonie du Moyen-Age, alors que je ne connais que le rock (et les chansons d'amour). Et voilà, je vais me la jouer toute la journée en me prenant pour une muse.
Bon, ce n'est pas tout. J'ai des taches urgentissimes à nettoyer sur le plancher. Oui, j'ai une pile de dossiers à analyser et un gros gros rapport à rédiger. Mais peut-être bien que je vais t'écrire un courriel entre deux pages.
Te lire est une excellente façon de démarrer la journée. J'espère que mon écriture va s'en trouver galvanisée par surprise. Le rêve.
Je n'écris plus depuis que j'ai fini mes études, alors je devrais regarder les tâches du plancher au microscope si on me demandait d'écrire un article sur le Stabat Mater de Palestrina... Par contre, je peux écrire le code barres du disque... c'est une des choses que je fais dans mon travail
Jolie pirouette d'ours. Et belle image de la fameuse page blanche, celle qui terrifie et fascine. Celle dont on s'écarte sans cesse pour ne pas s'y mettre, et dont on sait bien qu'on n'y échappera pas, devoir de classe, pensum professionnel, commentaire rapide, billet de blogue à tout dire.
Un carré légèrement bleuté à remplir et toute force me lâche; et pourtant voici encore des signes qui sont venus te remercier.
Par contre moi, quand je dois nettoyer mon plancher j'ai soudainement TRES envie d'ecrire.
franchement, Moukmouk, je ne vois pas de quoi tu parles : t'as qu'à leur lire ça à ta radio, ça ira très bien
en plus je suis sûre que ton plancher à une capacité émotionnelle radiophonique insoupçonnée
et puis je m'étonne que Lilousse n'ai pas déjà laissé un commentaire ici
Entre l'appel du frigo et les taches du plancher la messe est dites et de belle façon !
bein moi c'est le contraire........ quand il grand temps de nettoyer le parquet.. j'me mets à écrire, répondre à tous mes mails en retard, photographier un truc 'achement important, lire les blogs, répondre aux commentaires.. tout ce qui est bien plus important que la saleté bien sûr ;-))
Natilin--) T'inquiète pas, je ne vois la saleté que si j'ai un texte important à écrire autrement...
Marianne--) c'est que le frigo m'appelle tellement qu'il faut que je fasse un peu attention, je roule déjà passablement.
Zizule--) c'est l'idée, j'ai écrit le texte sans m'en apercevoir. je me suis menti pour m'en sortir. Je ne crois pas que Lilousse me lise... j'aimerais bien.
Drenka--) c'est la différence entre écrire pour gagner sa vie et gagner sa vie pour écrire.
Andrem--) merci de ton appréciation... terrible ce que cela se vend cher le kilo des mots.
Sara--) que veux-tu, il y a des gens qui gagnent honnêtement leurs vie comme toi, et d'autres qui doivent faire vraiment n'importe quoi pour avoir le phoque quotidien.
Meerkat--) je ne te crois plus quand tu me dis que tu me feras un courriel...
Saveur--) tu as raison. Je pense que si je devais conter pour des sous, je détesterais cela autant qu'écrire pour des sous. Je pense que c'est dans le rapport à la société, où on met un prix sur ma création. Pourtant c'est nécessaire dans notre monde, sauf que...
Dodinette--) je fais 16 pages et plus au moins 2 ou 3 fois par semaine. Et quand j'ai fini je peux enfin écrire au gens que j'aime.
Yaurait pas un roman sur la polyphonie du Moyen-age, juste un petit roman.
Très drôle. Ca donne des idées pour la prochaine panne;-)