Apprendre le calme
lundi 18 février 2008, 22:11 General Lien permanent
Souvenir épars, j'ai finalement très peu connu mon père. Il n'y a pas de raison pour que je vous en parle aujourd'hui, simplement que j'ai le goût.
J'ai très peu connu mon père. Il avait son travail dans la grande forêt qui le tenait loin de la maison la plupart du temps, et puis il y avait l'école, les pensionnats pour la presque totalité de ma jeune vie. Alors pour la petite enfance, de vagues souvenirs de fête. D'un espèce de père Noël qui arrivait on ne sait trop quand pour repartir quelques jours après.
A l'adolescence, je me suis souvent demandé que venait-il faire dans la maison. Pas de haine ou de conflit, mais j'étais tellement prisonnier de mes malaises que je ne pouvais voir ni un modèle, ni des solutions. J'ai vraiment passé à côté peut-être pas de solutions, pas sûr qu'il en existe, mais au moins d'une sagesse qui m'aurait appris le calme.
Jeune adulte, j'allais le voir avec les enfants les périodes de congés, parce que chez lui, c'était vraiment la fête pour les enfants, tout était permis, tout était possible, tant que tout se faisait ensemble. Il était très habile à montrer que ce qu'on fait pour son propre bonheur ne sert à rien alors que ce qu'on fait pour le bonheur du groupe nous comble. Ce fut l'époque où nous avons beaucoup partagé autour des jeux, le bridge et les échecs surtout. Ses analyses étaient précises et lumineuses, sa subtilité renversante.
Un homme de très peu de mots. En perdant la sienne, il avait perdu le goût des langues et de parler. Les mots n'exprimaient pas son discours, alors il se débrouillait pour dire autrement. Quand on lui serrait la main on savait ce que toucher veut dire. Une immense colère l'habitait, on la sentait tout de suite. Elle n'était ni soumise ni refoulée, sa colère était simplement calmée, elle attendait de s'exprimer pour changer le monde.
A sa retraite, il s'occupait des fleurs. Une façon de dire la beauté du monde, sans avoir à aligner des mots qui sont toujours trop imprécis, trop acculturés pour vraiment dire. Il était entré en contact avec un merle d'Amérique, et faisait ensemble le même travail, s'occuper de la terre pour dire la beauté du Monde. Alors il prenait de sa puissante main qui ne trembait pas le petit merle, et il le mettait dans sa poche de gilet. Si l'homme déterrait une larve ou un ver, l'oiseau l'en débarrassait.
J'ai déjà pris un merle, un peu par traitrise, mais il n'a pas accepté de m'accompagner dans ma poche. Je ne suis pas assez calme. Je regrette tout ce temps où je n'ai pas su apprendre.
Commentaires
Peut-être n'as tu pas pu apprendre de ton père autant et comme tu l'aurais aimé. Mais même si tu dis l'avoir peu connu, ton père, tu le connaissais bien. Et vous avez su partager. C'est vraiment ce qui compte. Apprendre, ça viendra toujours. Tu as déjà des mésanges qui se réfugie sur ton épaule par grand vent, et plein de copains oiseaux.
(quel homme, ton père ! quel magnifique portrait, je suis toute émue)
"Un homme de très peu de mots. .... elle attendait de s'exprimer pour changer le monde." Je jurerais que tu parles de mon père sauf qu'il doit avoir ton âge! ton portrait est magnifique ! merci ! C'est chouette ce que tu as partagé à l'âge adulte ; tes enfants en gardent-ils un beau souvenir?
"Un homme de très peu de mots. .... elle attendait de s'exprimer pour changer le monde." Je jurerais que tu parles de mon père sauf qu'il doit avoir ton âge! ton portrait est magnifique ! merci ! C'est chouette ce que tu as partagé à l'âge adulte ; tes enfants en gardent-ils un beau souvenir?
Apprendre le calme ? Lâcher prise, faire confiance. L'hommage que tu rends à ton père témoigne, il me semble, de ce qu'il t'a donné et qui vit intensément en toi. Tu serais pas un peu exigeant en plus de coquet..?
Saveur--) Etre un peu exigeant envers soi-même, ça va si on sait aussi être indulgent, le compliqué c'est de savoir quand être exigeant et quand être indulgent. Je pense ( mais ça mériterait un autre billet) qu'il avait un contact plus profond que moi avec la forêt, ce qui lui donnait une force de liberté que je recherche.
Bey--) Malheureusement il est mort les enfants avaient 8 et 6 ans. Alors ne rate pas une occasion de rendre possible le lien entre ton père et tes enfants.
Meerkat--) J'essaie juste de dire qu'il avait fait quelques pas de plus que moi à mon age. Les enfants devraient être meilleurs que les parents non? alors j'y travaille.
c'est un très très beau portrait moukmouk, vraiment.
les taiseux ne sont pas faciles à vivre, j'en connais un bout, mais il donne envie celui-là. et je me joins au choeur des autres commentaires pour dire qu'il t'a laissé bien plus que tu ne crois, le tout c'est de savoir le déterrer ou attendre le bon moment de la révélation...
Tu peux apprendre des tas de trucs a un oiseau mais...Est-ce bien necessaire?
Je me suis promenee partout dans Paris avec un petit moineau qui s'etait decide tout seul a m'accompagner. Dans le metro, juche tranquillement sur mon doigt, il penchait dans les tournants... Il restait tres sage perche sur la corbeille a pain aux repas mais...Etait-ce bien necessaire?
Quant a mon chat j'ai arrete de lui apprendre a rapporter les balles parceque je me demandais si c'etait bien dans la nature d'un chat de rapporter. :P
En meme temps un merle qui mange les vers c'est bien dans la nature d'un merle...Un peu plus de patience, ou une plus large poche!
Je suis tres emue par ce billet "doux"!! En tous les cas ce pere absent ,n' arien gache a ton talent,bien au contraire! Il a su te transmettre le"suc et la fruissance"...Tout le mystere est dans tes yeux et dans ton coeur et il jaillit deja avec tant d'abondance!!!
Bravo bel ours plein de sagesse!
C'est dommage de ne pas l'avoir plus connu quand tu étais enfant, et triste d'avoir dû aller en pensionnat.
Mais d'après ce que je vois autour de moi, tu en as déjà bien plus de beaux souvenirs que n'en auront beaucoup d' enfants de leurs parents dans quelques années...
Et puis, il t'a transmis quelque part l'amour pour la Terre, non?
Tu en as fait un très beau portrait en tout cas.
J'ai l'impression, à la lecture de ce superbe billet, que ton père t'as transmit l'amour de la vie, de la terre.. et que toi, en plus, tu y a ajouté l'amour des mots qui t'ont manqué.
L'éducation c'est un peu ça : il y a ce qu'on donne, et aussi ce qui manque.. qui donnent à nos enfants l'envie de combler ce manque avec leurs propres enfants.
Je voudrais bien faire un joli commentaire mais les peres absents ca me touche trop, je risque de dire des n'importe quoi.
Tres beau portrait en tout cas et des bises.
On sent un vrai échange entre lui et toi, à te lire. Une rencontre venue sur le tard. Une chance, en somme.
Des bises, l'ours (je te prépare un vrai mail, tiens toi prêt )
La forêt automnale est une salle de concert où le silence règne en maître. Le vent y joue le rôle du chef d'orchestre, les oiseaux sont autant de petits musiciens qui accompagnent le chant intérieur des arbres. La forêt est aussi le théâtre d'une pantomime où de fugitifs acteurs cornus dansent une chorégraphie bondissante. Le vent tient alors le rôle du souffleur auprès des arbres qui miment avec de grands gestes la dramatique comédie de la Vie. Le crépitement des châtaignes et des glands en touchant le sol applaudit le spectacle. La forêt est encore un opéra sans parole mais le livret ne manque pas de sens. Tous ses interprètes, à poils ou à plumes, sont là pour l'exprimer, il arrive même qu'un acteur à écailles se glisse dans le décor...
Dans la grande forêt, on ne peut être que silencieux. Communiquer avec les arbres se fait par la pensée. Ton père Moukmouk parlait leur langage.
Une absence qui a laissé un héritage de grande valeur dont tu jouis aujourd'hui comme quoi la présence n'est pas toujours nécessaire . Peu présent écris-tu , il t' a laissé lors de ses visites , l'image d'un père Noël , il y a pire comme image .Quelle idée curieuse que de vouloir les enfants meilleurs que les parents , différents certes mais meilleurs ? Ton père avait une colère en attente de pouvoir s'exprimer pour changer le monde , adopte sa colère qui sait si le calme ne viendra pas avec le temps.
Et en définitive , Moukmouk peut être ne fonctionnes-tu que dans l'agitation ? l'important n'est il pas de fonctionner , de vivre et d'être heureux .
Très touchée par ce billet, mon bel ours. On en finit pas d'en revenir à nos absents, d'une façon ou d'une autre, n'est-ce pas ?
Wahou! plein de beaux commentaires je suis content!!!!
Anne--) Nos absents sont là, comme un trou. Il faut apprendre à vivre avec sans douleur.
Marianne--) les enfants meilleurs que les parents... juste un peu meilleur peut-être... mais s'il y a un sens quelque part je pense qu'il est là.
Kinka--) Oui, il était de la forêt est parlait la langue de la forêt... tu as raison.
Isa--) oui j'ai hâte... j'ai pensé que tu m'avais oublié.
Drenka--) il faudra bien en parler pourtant. le mythe du père me semble très important actuellement, un espèce de frein auquel il faudra s'attaquer. Mais si j'ouvre cette boite ça risque de me sauter à la figure.
Natilin--) oui ça tu as bien raison, si plutôt que d'élever nos enfants en fonction de nos manque on le faisait en fonction de leurs besoins... mais ça il faudrait le découvrir...
Sara+Véronique-) merci beaucoup. Oui le pensionnat c'est très dur.
A'toshka--) je suis bien d'accord avec toi, il n'a rien appris au merle, le merle avait confiance, comme ton moineau avait confiance, parce que tu as cette qualité que je veux développer un peu plus.
Dodinette--) je n'ai pas ( toujours un peu mais pas beaucoup) de peine en pensant à cet homme, je suis content de ce qu'il m'a donné... et puis si je n,en ai pas eu plus peut-être que c'est moi qui ne pouvais en prendre plus
Idem que Drenka
Je sens plus un "plein" qu'un "creux" dans ce qu'il t'a donné.
Et sa colère impuissante, toi, tu la transformes en combat pour la beauté du monde.
Pour la sérénité, laisse-toi le temps, non ?
Des bises