Für Elise

Impossible de penser à ce nom, sans entendre un piano pioché avec autant de maladresse que de détermination par un enfant qui se demande si les cours de judo n'auraient pas été préférables. Impossible d'entendre à ce nom, sans retomber dans mon premier amour.

Ce matin, une dame passe à me voir pour me présenter un projet. Vous êtes madame? Elise quelque chose... je n'ai même pas entendu le nom de famille. Le simple mot « Élise » a cogné dans ma tête comme le battant de la cloche du temps ( La tête toute sonore encore de vos derniers baisers (A.R.)) il n'était plus possible d'entendre quoi que ce soit. Je suis tout de suite retombé en amour. Pour éviter d'embrasser la dame, ce qui aurait été agréable, mais inconvenant, je me suis lâchement sauvé prétextant une réunion urgente de la plus haute importance, mais donnez-moi le dossier, je vais l'étudier un peu plus tard et je vous rappelle demain sans faute, sinon rappelez-moi.

Non ce n'est pas de la lacheté, ce n'est pas d'elle que j'étais amoureux, mais d'une fille de 16 ans, qui malgré tout le temps est toujours là et a toujours 16 ans. De cette première image, je me souviens très bien de la voix: « que lis-tu? », quelle promesse d'amour éternel. Mais je ne me souviens plus du visage, parce qu'elle avait la tête pile dans le soleil, alors je ne voyais qu'une boule de lumière à travers des cheveux. J'étais assis au pied d'un arbre, lisant comme toujours, dans un parc d'une ville de hasard à attendre un autocar qui m'amènerait ailleurs.

--Moravagine de Blaise Cendrars. La violence extrême de ce fou furieux convenant parfaitement à la rage de l'adolescent qui alors haïssait profondément le monde en général et chacun de ses habitants en particulier. Je rêvais d'être ce Moravagine et de faire exploser, de tuer, d'égorger, tous ces monstres qui n'ont comme objectif de vie, de détruire la Vie.

--Moravagine de Blaise Cendrars, mais comment expliquer à celle qui se tenait devant moi, la nécessité absolue de détruire tous les humains de la manière la plus violente et la plus souffrante possible? Certainement pas elle! J'ai une solution, c'est une extra-terrestre, elle n'est pas de ce monde, c'est impossible qu'elle soit de ce monde.

Je me suis levé, elle a souri et j'ai commencé à parler. Moi qui avais toujours eu trop de mépris à l'égard de ceux qui m'entourent pour condescendre à leur dire quoi que ce soit, j'ai commencé à parler dans un flot continu de mots comme si le bouchon d'un gros réservoir venait de sauter et qu'il fallait qu'il se vide, simplement, par gravité.

Après un certain temps, elle a mis sa main sur ma bouche, et elle a dit : « tu es beau ». Comment peut-on survivre à cela? Oui, je suis mort là... et un autre est né. Comme tout accouchement ce fut douloureux, et celui qui est né était certainement moins fort, moins grand, moins brillant, moins... moins... mais il était aimé.

J'ai commencé par mordiller les doigts qui voulaient me faire taire, et comme je ne pouvais plus dire de mots, j'ai laissé parler le reste de moi. Et puis j'ai pris cet autocar qui ne me pouvait ne me conduire qu'au désespoir, mais non, plutôt à l'espoir de revenir.

Il y a tellement d'ailleurs et d'autres lieux dans cette vie qu'on ne réussit plus à attacher tous les fils qui pourraient me ramener à cet amour, je ne sais plus quel autocar prendre pour retourner voir Élise, mais si je le savais, probablement que tout le reste du monde s'effondrerait. Pour Élise...