Train-train

Il y a une semaine, ou un siècle, je prenais le train pour Tours. Un train pour aller voir Akynou et ses filles. Quel bonheur le train.

Pour beaucoup de français, prendre le train est d'une telle banalité que ça ne mérite même pas d'être mentionné. Pour les banlieusards qui font le RER matin et soir, le train signifie le boulot, l'obligation, la nécessité, rien de bien joyeux dans ces voyages organisés où les sardines ont l'air de vivre dans des palais luxueux, sans l'odeur de l'humanité laborieuse.

En Amérique, les trains puent l'urine et le diésel, sont très lents parce que les trains de marchandises ont la priorité. Le bruit, l'absence de confort les trains sont conçus pour exister comme preuve que l'automobile est l'expérience ultime du bien-être.

Je peux prendre un TGV mais je suis pauvre et j'ai le temps. Deux heures et quelques contre une heure, mais le tiers du prix. Et puis je veux voir le paysage. Allons-y pour le train régulier.

Dans le fond, je caresse le rêve de dormir durant le trajet, même si je me doute que dans ces machins bruyants et puants, on ne dort pas. Première surprise en montant, le monsieur qui m'accueille est poli et souriant. Je n'en suis plus à considérer tous les travailleurs français comme des ronchons qu'on dérange dans leur sieste. Je sais que c'est faux et qu'avec moi au moins, la plupart des Français sont d'un commerce des plus agréables. Ça doit être que je suis un ours, et un ours souriant.

Ça ne sent rien dans le train. Enfin rien de désagréable et le siège est confortable. Ça démarre lentement et je suis le premier contrôlé par un monsieur qui s'excuse en me promettant que ça ne durera que quelques secondes. Je suis bien, c'est calme et silencieux. Je voudrais dormir, mais l'immense banlieue parisienne me propose des milliers de décors et de détails insolites qui me font sourire. C'est une terre habitée par des pensées contradictoires, une volonté de rationalité planificatrice et d'organisation fonctionnelle perturbée par l'affirmation d'individualité un peu brouillonne, par le plaisir d'être bien en dehors des normes et des conventions marchandes.

Le train nous montre l'arrière des maisons, le cul du monde et c'est plus authentique et révélateur que les façades maquillées. Et puis ce sont les vaches. Ce sont les trains qui regardent les vaches, elles se font belles pour eux, et sourient parfois à leurs admirateurs, vedettes des décors verts très doux dans cette petite brume.

Et puis c'est l'autoroute avec de gros escargots qui se trainent lentement dans leurs baves brunes. Je vois aussi des bébés escargots qui tentent la course avec les gros, mais ça ne sert à rien, ils sont toujours des escargots par rapport à ce train pourtant considéré comme TGL (train grande lenteur).

Un peu plus loin des grandes éoliennes s'ennuient, elles aimeraient tellement couper trancher la petite brume paresseuse et pas assez épaisse pour être remarquée. Je ferme un peu les yeux... Quoi déjà ? Nous sommes rendus ?

Il faut vivre en Amérique pour vraiment profiter de la qualité des trains français.