Petite bio de Moukmouk

Petite bio de Moukmouk

 

Il est temps de raconter ce que je sais de la vie de Moukmouk, ou, du moins, ce qu’il m’en a dit, le soir, devant le feu de cheminée dans sa ouache, à Pohénégamook.

 

De son enfance, il n’a pas gardé de bons souvenirs. Il était le petit dernier d’une fratrie. Il ne s’entendait pas avec son frère aîné (très antipathique), mieux avec sa sœur à qui il reprochait cependant de trop vouloir le materner. Comme je l’ai déjà écrit, il n’a jamais réussi à entrer dans le moule imposé par l’école religieuse où on l’avait envoyé. Il y était le petit sauvage perpétuellement en révolte.

 

Plus tard, il a refusé comme le voulait la tradition familiale, de devenir professeur d’université. Il a préféré travailler pour Radio Canada, la chaîne de télévision publique du Québec et il est parti dans le grand Nord, filmer la faune sauvage, pour les besoins d’un documentaire ou d’un film de cinéma.

 

Cinéaste animalier n’est pas un métier de tout repos. Pour espérer obtenir quelques secondes de film intéressantes, il faut passer des heures en planque, sans bouger, à guetter les ours polaires ou les oiseaux arctiques. Afin de résister au froid terrible, il avait adopté la méthode des Inuits. Il s’habillait comme eux, bougeait très lentement car il ne faut surtout pas transpirer et suçait continuellement des petits cubes de viande de phoque crue dissimilés entre deux paires de moufles. Comme vous vous en doutez, c’est immangeable pour le commun des mortels : il faut être né là-bas ou profondément motivé pour parvenir à avaler cette nourriture.

 

Malheureusement, l’avènement du numérique a mis fin à cette carrière qui le passionnait. Il est beaucoup plus rentable de créer des images virtuelles d’animaux que de les filmer dans leur décor naturel. Il a alors traversé une des périodes les plus difficiles de sa vie.

 

Il était marié à sa première femme et avait déjà son fils aîné et sa fille. La petite famille vivait dans une grande maison à mi-chemin entre Montréal et le grand Nord pour qu’il puisse plus facilement les rejoindre quand il avait terminé ses tournages.

 

Pour continuer à travailler, il a dû s’installer dans un logement minuscule à Montréal, loin des siens qu’il ne pouvait que difficilement recevoir chez lui. Il est tombé dans une profonde dépression et a divorcé. Il ne s’est pas retrouvé au chômage car il travaillait pour un organisme public mais il m’a avoué qu’il avait été payé à ne rien faire pendant un long moment.

 

Puis il a fini par rebondir : il a réalisé une série à succès qui a duré de nombreuses saisons et lui a permis de travailler jusqu’à sa retraite. Il a aussi rencontré sa deuxième femme et eu son deuxième fils. Malheureusement, cette dame cherchait surtout un géniteur pour son enfant et l’a très vite sorti de sa vie sitôt son désir satisfait. Il lui en voulait toujours alors qu’il conservait de bonnes relations avec sa première femme.

 

Il a toujours beaucoup voyagé pour son travail et il a continué au début de sa retraite. Sa fille vivait à Vancouver, son fils aîné, marié avec une Brésilienne, à Tokyo et son plus jeune fils, à Toronto. Il avait aussi une « blonde » en Suisse avec qui, il avait visité l’Italie, voyage dont il gardait un excellent souvenir.

 

Hélas, la maladie qui l’a emporté récemment s’est déclarée à ce moment-là ; sa petite amie suisse l’a viré et il a dû rentrer au Québec pour se faire soigner. Il a alors organisé sa vie entre son appartement à Montréal, l’hiver, et sa ouache au bord du lac de Pohénégamook qu’il rejoignait dès l’arrivée des beaux jours. Son plus grand bonheur était de recevoir sa famille au complet dans cette maison qu’il avait aménagée exprès pour ses nombreux petits-enfants.

 

C’est là que je suis allée le voir pour la première fois en automne 2019. Il avait déjà du mal à marcher et s’essoufflait rapidement mais envisageait quand même de venir me voir à Marseille l’hiver suivant. Puis son état a empiré et lui a interdit les voyages en avion… Puis la pandémie est arrivée et m’a empêchée d’aller le voir en 2020… Je n’ai pu me rendre à nouveau au Québec qu’en septembre 2021 (la frontière a été ouverte le 1er, je suis partie le 21) ce qui lui a permis de retourner à Pohénégamook dans ma voiture de location car le voyage en bus depuis Montréal était devenu trop fatigant pour lui. Mon dernier séjour au Québec a eu lieu durant l’automne 2022. Juste après mon départ, il a commencé une dialyse.

 

Je regretterai toujours de n’avoir pas pu aller le voir une dernière fois en 2023.