Les belugas sont bavards

Je n’apprendrai rien à personne en disant que les bélugas sont bavards. Ils ont toujours quelque chose, à se dire ou à nous dire, et quand tout est dit, ils chantent. Ils me font même parfois des indiscrétions sur des humains qui me sont chers. Si vous avez des sentiments forts, ils les percevront et pourront faire des messages.

Je ne sais pas si c’est à cause du bisou de Caroline, mais j’ai reçu un beau message du Nord. Deux bélugas qui se font un discours amoureux. Certainement un couple de jeunes qui se disent combien la vie sera belle ensemble, qu’il y aura du poisson et de la tendresse, de l’eau qui glisse sur la peau et de la peau pour être en lien.

Je pourrais en parler des heures puisqu’il y a une bonne vingtaine de minutes du message. Mais je ne pouvais pas tout mettre cela d’un coup, vous avez autre chose à faire qu’à écouter la douce placote d’enfants en amour. Peut-être que c’est parce que je ne suis plus tout jeune, mais je ne trouve rien d’aussi important que d’écouter ces mots maintes fois répétés, toujours aussi vrais, toujours aussi faux, mais qui réinventent le Monde à chaque fois qu’on les dit.

Première surprise, ces amoureux chuchotent presque. Je suis habitué aux bélugas du clan de Cacouna, qui vivent dans un environnement extrêmement bruyant. Les bateaux en grand nombre, mais aussi la densité de mammifères marins probablement unique au monde. Alors, ces bélugas se crient par la tête pour pouvoir se comprendre. Là-bas, près d’Iqaluit, nos tourtereaux peuvent roucouler doucement sans être dérangés. On n’entend même pas le chant des phoques. Ils ont dû s’isoler pour se dire comme ils sont beaux.

J’aurais pu amplifier. Non, je préfère que vous tendiez l’oreille. Il y a trop de chanteurs qui hurlent des mots d’amour comme s’ils vendaient du poisson à la criée. Une bonne partie de leurs mots-bélugas utilisent les ultra-sons. J’aurais pu ralentir pour mieux vous faire entendre, mais ils se parlent entre eux, s’ils nous parlaient, le ton serait plus grave.

Il y a beaucoup de « clics » c’est le même truc que les « tocs » des épaulards, mais en plus grave. Ça sonne parfois comme « Trrrrr ». L’utilisation de l’écholocation de cette façon est l’équivalent pour nous d’une caresse, je vois ton corps, je touche ton corps, je te désire. À la fin, je me suis permis de multiplier par 16 l’onde, pour que vous perceviez bien la complexité de cet échange, qui dépasse de loin les capacités humaines ou oursonnes.

Si vous avez la stéréo, la fille est à gauche et le garçon à droite. Bien sûr, je pourrais traduire, mais vous connaissez déjà ces mots, et si vous ne les connaissez pas, vous ne saurez pas ce que c’est à les lire.