Vers la montagne aux pygargues

Le temps des grandes marches en forêt est revenu. Les feuilles ne sont pas encore assez tombées pour aller à la recherche des petits animaux, mais il n'y a plus de moustiques, et c'est assez frais pour forcer le pas sans se mouiller de sueur. Juste après le ruisseau des castors, il y a la montagne aux pygargues.

Comme il ventait passablement, j'ai remonté à voile le lac jusqu'à sa tête, moins concentré à chercher la vitesse qu'à admirer le spectacle de mon ami Conrad le balbuzard qui pour une fois ne pêchait pas dans les piscicultures du coin, mais avait décidé de prendre son repas dans le lac. Plannant lentement, il surveille la surface en cherchant un poisson, et puis fait un piqué magnifique, plonge et ressort avec une truite d'au moins 2 kilos. Il prend de l'altitude dans le gigantesque effort du mètre cinquante de ses puissantes ailes, fait un pallier pour se secouer et enlever toute l'eau qui l'alourdit encore, et repart vers le nid.

Un point noir tombe du ciel et fonce vers lui. Une pygargue, incapable de plonger pour pêcher veut voler le poisson. Le grand oiseau prend un maximum de vitesse et frappe l'aile de l'aigle pêcheur pour le déstabiliser. Je ne sais si c'est par chhance ou qu'il a vu le voleur au dernier moment, mais Conrad réussit presque à l'éviter, profite du choc pour se laisser glisser et tourner dans la direction de la montagne et sauve son poisson. Je crie un grand bravo, qui n'a pas eu l'air d'émouvoir l'athlète triomphant de l'obstacle.

La pygargue a trop de vitesse, il descend jusqu'à raser l'eau avant de remonter, mais il est trop tard pour une seconde attaque. Faute du gros poisson, il retournera dans la forêt chasser une souris ou un écureuil pour le ramener à son nid. Avec un peu de chance, j'arriverai avant lui.

La pygargue, c'est l'aigle à tête blanche, l'aigle des emblèmes des USA, même s'il y en a presque plus là-bas, sauf en Alaska, trop d'agriculture, trop de pesticide, trop d'humains. Le nid d'un aigle s'appelle l'aire, et fait jusqu'à 2 mètres de diamètre. Le couple d'aigles le grossit d'année en année jusqu'à ce que l'arbre qui le supporte s'écroule sous le poid. Il est donc assez facile à trouver. De toute façon je connais ce couple depuis assez longtemps, et la route pour aller sur un petit promontoire où je les vois très bien sans les déranger.

Sur place, j'ai droit à un cérémonial assez particulier. Les pygargues à tête blanche, font parti des rares animaux qui font l'amour régulièrement, même en dehors des périodes de fécondations. D'accord c,est pas aussi fréquent que chez les bonobos ( tous les 90 minutes en moyenne) mais disons avec la fréquence d'un couple d'humain ensemble depuis un certain temps. Si l'acte comme tel représente peu d'intérêt pour le spectateur, les préparatifs sont magnifiques.

Le couple s'envole très haut dans le ciel, s'accroche par les serres et se laisse tomber en tourbillonnant. Des grosses émotions fortes. J'imagine que ça doit être comme partager une bouteille d'un bon mousseux.

Bon si vous ne savez pas quoi faire ce soir, allez demander à l'aigle, il vous proposera peut-être un tour de manège.

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