Un bel homme

A 98 ans c'est bien difficile d'être beau, surtout quand on est plus de ce monde depuis 23 ans. Sauf qu'avec des gènes pareils, je me persuade que je ne peux pas être totalement moche.

Oui mon père était un bel homme. Plus jeune, on me disait que je lui ressemblais beaucoup physiquement. Sauf que j'étais juste un peu plus grand, un peu plus rond, et surtout beaucoup moins athlétique. Lui était véritablement un homme de la forêt, il vivait en parfaite symbiose avec son milieu et quand il en sortait, il avait souvent l'air d'un poisson hors de l'eau.

Ça ne l'empêchait pas d'être un joueur d'échec et de bridge de très haut niveau, un homme d'affaires avisé, et un entrepreneur efficace. Mais son drame c'est qu'il a passé sa vie à exploiter la forêt, à couper des arbres, alors qu'il ne voulait que la protéger. Cette contradiction l'a empêché d'être vraiment heureux tout au long de sa vie.

C'était aussi un homme du silence. Une réalité fréquente pour ceux qui n'ont plus de langue. Quand la langue de ton enfance disparaît, il est très difficile de bien dire, alors c'est bien tentant de se taire, puisqu'à chaque fois qu'on dit quelque chose, il est évident qu'on ne fait que semer l'imprécision et le doute. Et puis le silence est une défense, un mur qui nous protège des compromis. Je ne sais pas et je ne juge surtout pas ceux qui choisissent de se taire, parce que souvent je me cache derrière des murs de mots. Les mots comme le silence peuvent être une défense, une lâcheté. Ils peuvent aussi être des armes pour affronter la folie de ce monde. C'est le combat qui compte, on se sert des armes que l'on a.

Brad et George peuvent aller se rhabiller. Vous admettrez, j'ai de quoi être fier de mes gènes. Il a 32 ans sur cette photo. 32 ans, la force de l'age, la sagesse et la détermination.