Tahasu, m'entends-tu?

J'ai parlé quelques fois des clowneries des bélugas. Toujours heureux de faire une blague, une pirouette, de jouer à qui va le plus vite, à qui a la peau la plus douce, difficile de ne pas être heureux à leurs contacts. Pourtant...

Pourtant un grand inquiet comme moi a de la difficulté à comprendre cette simple joie dans un monde qui change si rapidement, avec tous ces gens qui nous entourent, enfin en voyant ma propre médiocrité. Les bélugas savent tout cela, mais ils préfèrent être heureux, jouer puisqu'ils ne peuvent pas faire grand chose contre tout cela. Pas grand chose sinon dire la beauté du Monde en espérant d'être entendus.

Cependant chez les bélugas aussi, il y a des inquiets, comme Hélis le sage, dont j'ai parlé quelque fois, des individus exceptionnels que j'aimerais bien connaître davantage. Il y a une dame entre autre, qui doit avoir autour de 30 ans, qui trouve toujours le moyen de vivre plutôt isolée, avec son petit quand elle en a un à sa charge. Namiko l'appelle Tahasu, probablement de Kiwaci-tahasu Oqim... (elle chante) triste comme un huard, triste comme un chant de huard.

Cet été j'ai bien essayé de l'approcher, parce qu'elle a un petit tout gris, et je voulais savoir si le langage du petit était un peu différent dû à son isolement du reste du groupe. Mais Tahasu ne voulait pas que j'approche. D'habitude les mamans qui ont des bébés sont dans des groupes assez importants qui ont pour rôle d'empêcher les prédateurs d'approcher les petits. Je ne sais pas si c'est parce qu'ils sont habitués à moi, ou s'ils ne me considèrent pas comme un prédateur mais souvent, un groupe avec des petits passe près du bateau que j'occupe.

Namiko ne dit que son petit s'appelle (pour le moment) Piyel et qu'il est aussi joyeux et bavard que tous les autres petits bélugas. Il n'est pas la cause de la tristesse de Tahasu. Je sais bien que c'est moi qui entends ce message de Namiko, et vous avez tout à fait le droit de douter de ce que j'entends, peut-être dit-elle simplement à sa voisine, « pousses-toi un peu, je ne veux pas toucher au bateau ».

Il n'est pas question que je m'approche, je reste à distance respectueuse et laisse les baleines m'approcher si elles le veulent. Je me sens déjà assez intrusif à écouter leurs conversations, je n'irai quand même pas planter un micro dans leurs chambres à coucher. Tahasu ne veut pas s'approcher de moi, elle préfère rester à distance, et j'accepte sa décision. Mais peut-être si elle acceptait de me dire quelque chose, non conversations pourraient alléger sa tristesse. Ou simplement d'échanger nos inquiétudes pour y trouver un peu de paix.

Je ne prétends pas avoir un quelconque talent de thérapeute, tout ce que je sais faire c'est raconter des histoires, et peut-être écouter... Tahasu, je respecte ta tristesse, et étant différent, il y a peu de chance que je te comprenne vraiment. Mais parce que je ne comprendrai pas, je poserai des questions où tu y trouveras peut-être une porte vers plus de joie.