Bernaches de passage

Il faut que j'apprenne à dire Bernache plutôt qu'outarde...

Devant l'Auberge sur le lac, dix très grandes bernaches font un large cercle et viennent se poser. Je pense tout de suite à mon amie Koikoi et le coeur veut me bondir hors de la poitrine dans un mélange de joie et de peine.

Il paraît qu'il y a une douzaine de variétés ( de races yeurk!) de bernaches du Canada dont le poids va de un à huit kilos, et qu'on peut différencier grâce à des détails visuels, comme... demander à un ours de voir ce genre de détails est totalement absurde! À l'odeur je peux savoir d'où viennent ces outardes (bernaches pardon) et ce qu'elles ont mangé ces derniers jours, mais la grandeur de la tache blanche, non, je ne peux pas. Les ours ne voient pas très bien, ils préfèrent se fier à leurs autres sens.

Elles regardent vers l'Auberge comme des clientes potentielles, se demandant peut-être si le service est à la hauteur... ou bien cherchent-elles un endroit précis, parce qu'elles ont un message à livrer? Je pourrais bien aller sauter sur le quai et grogner très fort que le service est excellent, c'est une bonne façon de faire fuir les clients et puis c'est tout. Pour accueillir, il faut être calme et ouvert. Courir après, c'est jamais une bonne idée, quelle que soit la bête qu'on cherche à attraper ( une marte, une fille, une oie...).

Ce ne sont pas des bernaches qui reviennent du Nord. Elles sentent la phragmite, le maïs et le résidu de pétrole. Je présume qu'elles viennent des iles de Boucherville en face du Port de Montréal. 400 kilomètres, cinq ou six heures de vol... juste de quoi se dégourdir les ailes, mais pourquoi viennent-elles ici?

Avant, toutes les bernaches allaient se reproduire au Nord, en Arctique. Mais depuis le maïs, la population a explosé, alors il y a des bernaches qui ne vont plus si loin. C'est très difficile de réussir un nid dans le sud, il y a trop de prédateurs et de problèmes. Couver dans le parc d'une ville, ça va, mais que faire quand la tondeuse à gazon passe? C'est vraiment une très grosse bête à éloigner. Mais dans le Nord aussi, il manque de place, trop de bernaches mangent toutes les racines des graminées que les marais peuvent produire et les petits ne sont pas assez gras pour entreprendre le voyage de retour.

Il y a aussi l'accompagnement. Quand une membre d'un groupe se fait trop vieille et qu'elle se peut plus suivre la route, on laisse quelques plus jeunes avec elles, pour qu'elles aient des compagnes dans ces derniers jours. Les vieilles oies comme les vieilles bernaches ( entre 30 et 40 ans) connaissent des dizaines de route et bien des paysages. Je pense qu'on laisse des jeunes avec la vieille pour ne pas que ce savoir se perde. Mais comment démontrer cela? Pourtant, c'est si facile de parler le bernache, qui est la même langue que le chien du Nord ou le loup, bien que l'accent soit fort à cause de la forme du bec et de la gorge. Je pense assez bien comprendre. Mais celui qui marche, aura toujours de la difficulté à comprendre celui qui vole comme celui qui nage, il nous manque une dimension.

J'attends, elles viendront peut-être me dire ce qu'elles font ici... et si l'Auberge de l'Ours qui danse peut les accueillir, ce sera avec un immense plaisir.