Qu’est-ce que je fous en ville?

Théoriquement, je suis en ville pour faire des sous et me payer (mon pain) phoque quotidien. Soyons clair, ce n’est pas ici qu’il est le phoque, et plutôt que le payer, je serais mieux d’aller le chasser.

Il est bien difficile de savoir ce qui va se passer avec le troupeau de phoque du Groenland. À 6 millions d’individus, il me semble encore en nette surpopulation et bien au-delà la taille d’équilibre ( entre 2 et 3 millions). D’autant plus qu’avec la surpêche pratiquée par les humains, il manque de nourriture pour autant de phoques. Il n’est pas question ici de dire qu’il faut abattre massivement des phoques pour protéger l’espèce. Ce serait aussi stupide que de recommander l’abandon de la chasse. Pas question de jouer aux apprentis sorciers et de décider ce qui est bon pour la nature.

Ce qu’il y a de nouveau cette année, c’est le manque de glace. Les phoques sont descendus très au Sud dans le golfe et même l’estuaire du Saint-Laurent, à la recherche de plage pour se reposer. Alors que normalement on compte au maximum une dizaine de milliers de phoques et surtout des adolescents. Il y en aurait cette année autour d’un million qui s’entassent sur les quelques plages du territoire en attendant que la glace se forme dans le golfe. Un ami me rapporte qu’il a tenté de marcher sur la plage de Kégashka ( 40 kilomètres de long, avec un petit village à chaque bout), mais il y avait des phoques partout qui lui refusait le passage, tentant même de le mordre. En passant, c’est une des plus belles plages du Monde. Le seul truc qui l’empêche d’être noire de touristes plutôt que de phoques, c’est que la température dépasse rarement les 15 degrés et que l’eau est encore plus froide.

Je suis l’exception, les ours blancs ne vont pas sur le golfe Saint-Laurent. C’est bien dommage la chasse serait facile cette année. Par contre, on aurait vu des épaulards à Natashquan et à Kégashka ce qui est vraiment exceptionnel. Comme les ours, ils ne viennent pas dans le Golfe d’habitude.

On me rapporte une mouvée ( des phoques qui se déplacent en groupe serré pour se protéger des prédateurs) de plus de 50 000 phoques près de Tadoussac. La mouvée faisait plusieurs kilomètres carrés d’eaux bouillonnantes, les phoques nagent en surface et font des éclaboussures pour faire peur aux prédateurs.

Simplement, prononcer ces noms Tadoussac, Natashquan, Kégashka, et je tremble du désir de rejoindre la forêt, de m’unir à cette forêt. Kégashka, petit village de 150 habitants ( quand ils sont tous là ce qui est bien rare) plus loin que le bout du monde, il n’y a plus de route. Mais peut-être la capitale d’un autre monde, heureux entre mer et forêt.

Kégashka : Une photo de Rodrigue Gendron, libre de droit.