Je hais les crayons.

Lise du blogue : Au Jour d'Hui, parle de son grand retour au papier et au crayon. Je hais les crayons, voici pourquoi.

J'aime la langue française pour sa sonorité et sa précision. Je hais la langue française, pour sa précision, son orthographe et sa grammaire absurde, héritage des privilèges royaux aux corporations de métiers. Une langue d'expert qui n'accorde le droit d'écrire qu'aux experts.

Le peuple la parle. Il passera quelques années à l'école à se faire critiquer, à se faire qualifier d'imbécile et d'incapable parce que le peuple ne parle pas la langue de l'école. Justement, l'école a pour but de faire la différence entre les experts et le peuple, entre ceux qui auront droit d'écrire, de dominer, et les autres qui seront dominés.

Mon sabir de sauvage démontrait clairement mon appartenance de classe. De plus, ma dysgraphie rendait mes copies illisibles quelques soient le nombre de crayons et de gommes à effacer que je pouvais détruire dans ma rage d'imbécile et d'incapable à m'exprimer. J'avais tant à dire et l'outil du langage m'était refusé. Je suis allé vers d'autres langues où mes imperfections me forçaient à rester clair et simple. Sans vraiment pouvoir dire ce qui me déchirait, mais au moins, mes mots étaient acceptés.

Puis vers 1996, j'ai connu le logiciel Antidote, un correcteur d'épreuve qui m'évitait les pièges les plus grossiers. Il s'est depuis beaucoup amélioré bien qu'il laisse encore passer des photes que les experts trouveront épouvantables, mais enfin, je peux être lu. Et avant même d'être lu, j'ai maintenant le droit d'écrire et je ne priverai plus. J'ai maintenant le droit de dire à tout le monde ce que cette langue m'a fait subir de honte, de peur et de frustration.

Et je vais le faire en tentant de l'utiliser le mieux possible, pour réclamer au nom de tous ces enfants qui grattent d'interminables feuilles de papier en pleurant de rage de ne pouvoir être, de ne pouvoir se dire, et qui resteraient des imbéciles sans les logiciels de correction. L'école de la frustration, de la sélection et du découragement existe toujours, mais nous avons maintenant trop besoin de toutes les intelligences pour éliminer des enfants parce qu'ils ne peuvent pas écrire comme les experts.

Je comprends très bien le plaisir de ceux qui ont la maîtrise de cette langue, de sentir le chuintement du crayon sur le papier, de voir se former les mots et les sons, et de choisir avec passion l'expression exacte. Mais je n'ai pas ce temps, j'écris par revanche. Je tape à détruire les claviers parce qu'il y a trop de mots à dire tout de suite, parce que trop d'enfants souffrent encore, parce qu'il y a trop de soumis, parce qu'il faut libérer la parole.