L'acculturation
lundi 12 avril 2010, 15:59 Conte Lien permanent
Parfois, il y a des mots de l'enfance qui nous console, parfois il laisse un grand vide.
Bombarde et biniou, la voix grave d'un chanteur, une émission de radio nous présente du folklore breton. Tout à coup, je reconnais un air, et parfois il me revient un mot, mais ce n'est pas du breton, ce n'est pas du français, c'est une langue qui n'existe plus. Ce n'est plus la voix grave, mais une petite voix, la voix vieille et tremblante de ma grand-mère qui dit des mots que je ne comprends plus, qui chante une chanson douce pour calmer le grand drame d'un enfant de trois ou quatre ans.
Ce n'est pas étonnant que ma grand-mère connaisse un air breton, les marins pêcheurs fréquentent nos côtes depuis plus longtemps que les livres d'histoires n'en parlent. Et puis beaucoup de ces hommes ont fui la misère et la domination des nobles et se sont mêlés aux gens d'ici, pour la liberté ou pour les yeux d'une belle. Ces marins ont appris nos mots et ont traduit leurs chansons.
Mais ces mots se sont perdus, il y a trop de fils de coupés dans le tissu de ma vie, et je me retrouve nu devant les malheurs de ce temps.
« À la claire fontaine... j'ai perdu mon amie pour un bouton de rose que je lui refusai... » Il n'y avait pas de roses dans les forêts du nord. « il pleut, il pleut bergère... rentre tes blancs moutons... » Pas de moutons et encore moins de bergères...
« Au clair de la lune, mon ami Pierrot » excuse-moi vieux Monsieur Lune, je ne chanterai pas cette chanson paillarde, j'ai trop de respect pour Toi et tes douces fileuses.
L'acculturation, c'est quand remonte les larmes de ton enfance, mais plus de mots pour te consoler.
Commentaires
Kwekwe Moukmouk !
Quel beau texte encore. Le mot acculturation qui n'était qu'une forme de raison est devenu une sensation, une impression, une vérité première avec ton texte.
L'infinie tristesse d'une langue millénaire qui se perd.
C'est donc dur à avaler mais comme je te disais l'autre jour, il semble qu'il en meurt quelques unes tous les jours...L'humanité avance et écrase les cultures comme les nouvelles versions de logiciels écrasent les plus anciennes. Image qui ne rend pas tout le drame quand c'est TA culture, TA langue qui est concernée.
Certains distinguent langue et culture mais c'est une grave erreur. Les deux sont d'un même souffle.
Merci !!
Tanakia !
Les traditions par transmission orale sont encore bien vivante ici au Québec, tout près de chez toi. Aux vendredis trad-lib, le 3e vendredi du mois est consacré à la chanson d'ici. 911 Jean-Talon, par la porte d'en arrière.Peut-être y retrouveras-tu un air perdu et enfoui dans ta mémoire. Libre à toi!
Bonne semaine!
On pourrait aussi dire que l'acculturation, c'est quand ta langue maternelle n'est plus celle de ta mère... (la formule n'est pas de moi, mais de mon père, puisque ma grand-mère est née bretonisante, une langue qui se perd aussi, malgré une certaine lutte des Bretons pour préserver leur culture)
Moi aussi, il me remonte des vieux airs chantés par ma grand-mère. Ils étaient en français pourtant, mais les mots se sont eux aussi perdus, la faute à mon jeune âge dont il ne me reste presque plus de souvenirs...
Nanouk--) une très bonne définition. Un garçon brillant ton père...
Nanou--) oui mais ça m'étonnerais qu'il parle ma langue maternelle
Paumier--) La culture comme la langue c'est vivant ça bouge et ce développe. Quand ta culture devient un objet de musée, c'est que tu es déjà un objet de musée.
Oh lala tu m'as tiré des larmes avec ce texte. Je me rappelle de mon enfance, des chansons, des espoirs que j'avais...
Ton histoire me rappelle celle de cette psychanalyste qui a continué son analyse jusqu'à sa mort. Quand elle est devenue dépendante, elle s'est mise à chanter dans une langue qu'elle ne connaissait pas. La langue de sa nounou les six premiers mois de sa vie. Elle chantait en fait des berceuse traditionnnelles...
Quel joli texte avant de rejoindre Morphée, merci pour l'histoire avant d'aller dormir...
Lorsque les mots ne consolent plus, les bras suffisent. Dans toutes les cultures...
Kenavo!
Aurelie--) merci, je ne suis pas certain, pour moi oui, souvent, mais pour beaucoup d'autres, les bras ne rencontrent que du vide, parce que avant de toucher l'autre, il faut avoir une langue commune.
Saveur (s)--) pas besoin de la psychanalyse, j'ai souvent vu cela chez de trop vieilles personnes.
Océane--) peut-être que la culture s'exprime aussi dans des espoirs, et quand la culture disparait, les espoirs n'ont plus de sens.
Très intéressant, cette histoire de folklore breton...
Ce sont mes enfants qui me font retrouver mon enfance, en rapportant de l'école des chansons et poésies presque oubliés.
J'ai tardé à venir lire... ce texte me rappelle ces promesses non tenues faites à ma propre mère et à ses orgines. Si peu de temps pour tout faire...
Un plaisir encore une fois. Puis l'envie soudaine de me retaper du Alan Stivell même si je n'ai aucune goutte de sang breton dans mes veines...
Alors Moukmouk,
tu parles "ours" ou un dialecte Mohawk?
Ma berceuse d'enfance est en patois sicilien, Je ne sais pas et ne saurai probablement jamais ce que veulent dire les mots. mais je sais ce que ma grand-mère me disait :
Alors je l'ai chantée pour mes enfants, tant de fois, et j'étais dans ses bras comme ils étaient dans les miens. Cette culture là de la tendresse n'a peut-être même pas besoin de mots.
Des bises du haut menilmontant.
Tu sais l'Ours, alors que je parlais de comptines sur mon autre blog, (tu sais celui où je parle dans le vide de mon boulot) j'ai écrit une comptine que me chantait ma grand mère, et j'ai reçu un mail de Colombie d'Ignacio, que je ne connais pas, sa grand mère française lui chantait la même et il en cherchait depuis longtemps les paroles. Alors parlons, racontons, échangeons et laissons les mots voyager. Je suis hors sujet ? Pas grave, j'ai l'habitude. Bises.
Je ne me souviens pas des berceuses que l'on me chantait enfant... j'espère que je serai vieille un jour, pour que ça puisse me revenir !